La Croisière noire de Crestey et Würthèle, du régiment de Tours

Le capitaine Crestey, pilote, et le sergent-chef Würthèle, mécanicien, du 31e régiment d’aviation de Tours, participèrent à la Croisière africaine du général Vuillemin, du 8 novembre au 24 décembre 1933. Un raid d’escadre baptisé la Croisière noire par les journalistes.

Cocottes bleues pour les Tourangeaux

Elles sont bleus, blanches ou rouges, les cocottes en papier peintes sur les flancs des trente Potez 25 TOE qui participèrent, fin 1933, à la Croisière noire. 22.500 km d’Istres à Istres en faisant le tour du propriétaire au-dessus du continent africain. Le général Vuillemin, commandant de cette expédition au long cours, avait choisi cet insigne en souvenir de son escadrille, la Br 11, qu’il avait commandée lors de la Grande Guerre. L’objectif de cette expédition était de « faire la démonstration avec un matériel de série des possibilités de notre aviation », a écrit le capitaine Jean Crestey, chef d’escadrille au 31e régiment de Tours.

Jean Crestey pilotait le Potez 25 TOE n° 2224, le « 11 » bleu. Il était accompagné du sergent-chef Würthèle, mécanicien de la 12e escadrille du 31e régiment de Tours. Le capitaine Crestey commandait l’autre escadrille du même groupe de Tours, la 11e (Sal 277).

Une courte préparation
Crestey et Würthèle (Bulletin technique
des avions H. Potez n°20)

Le capitaine Crestey était arrivé à Tours trois ans plus tôt, en provenance du 39e régiment d’aviation du Levant. Crestey et Würthèle ont été retenus pour représenter le 31e régiment de Tours. Il y avait, notamment Cazabonne du 33e, Thibaudet du 3e régiment de chasse de Châteauroux, Bisch du 12e, Tourtier du 11e, Garde du 34e, Pennès du 37e, etc.

« La préparation eut lieu à Istres du 4 septembre au 8 novembre. Elle comprit la fois la préparation matérielle et technique de la croisière, ainsi que l’instruction spéciale des équipages tant théorique que pratique : pilotage, navigation, radio. La tâche des mécaniciens fut considérable, ils ne connurent ni Toussaint, ni dimanches », a écrit le capitaine Crestey dans un hommage à la Croisière noire et à ses chefs, le général Vuillemin et le colonel Bouscat.

A Istres, le capitaine Crestey vola peu en septembre (5 h 45), le plus long vol étant un Istres – Orange – Istres (1 h 17) le 20, avec Würthèle, sur le Potez 25 n° 749. Tous les deux n’eurent que rarement l’occasion de s’installer dans leur Potez de la Croisière noire avant le départ ; 15 minutes le 19 octobre (essai moteur), 1 h 40 le 21 (rodage moteur) et 1 h 45, le 25, pour s’entraîner au vol d’escadre.

L’escadre perdit rapidement deux avions : celui du lieutenant Cazabonne (mécanicien : sergent Marchi), du 33e régiment d’aviation qui, avec plusieurs autres, se trompa de terrain à Los Alcazares et y brisa son avion ; à Rabat pour le lieutenant de vaisseau Chassin (pilote et navigateur) et le premier-maître Guillen (radio).

A deux doigts de l’accident

Pour le capitaine Crestey et le sergent-chef Würthèle, le raid aurait pu se terminer encore plus tôt, dès Perpignan. « Je manque de terminer là ma croisière. Coincé dans la bordure extrême du terrain face à une maison, par mon ailier de droite, je dois à un coup de frein prodigieux donné en pleine vitesse de repartir pour Carthagène, quelques minutes plus tard, notre première étape. »

Dans son fascicule, il note les personnages et les gens ; il est déçu par Colomb-Béchar, « la porte du désert mais dont la poésie s’est évanouie à mes yeux, depuis que j’ai vu la voie ferrée y aboutissant. Le touriste y vient, le ravitaillement se fait régulièrement, ça n’est plus le désert ».

Bidon V ? Pas de végétation, pas de vie […] Pas un oiseau, pas une mouche, pas un moustique, pas un insecte : la mort, l’impression d’infini quant à l’infini, de petitesse quant à soi-même. »

Le capitaine Crestey donna ses impressions sur le vol au-dessus du désert, qu’il a déjà connu au Liban et en Syrie. « La visibilité est faible, de l’ordre de 4 et 5 km ; la réverbération du sol sur cette étendue de sable infiniment plate et surchauffée est éreintante et fascinante. On doit faire un effort pour ne pas s’appesantir et fermer les yeux. Une grosse facilité pour l’aviation réside dans l’étendue infinie du champ d’atterrissage ; mais l’atterrissage lui-même est délicat, car l’œil est trompé par cette surface vierge et lisse par le manque d’horizon dû à ce hâle de chaleur qu’exhale la terre ».

Télégramme et réception à Alger

L’Afrique occidentale française ? « La déception fut, je crois unanime […] Je ne parle pas ici des rives fertiles et de toute beauté du Niger, ni de la côte Sud boisée, mais de l’intérieur du territoire. » Il a cependant gardé un bon souvenir : « La chasse au phacochère de Saint-Louis, chasse pleine de sensations dans une camionnette Chevrolet puissante, conduite par un jeune colon d’une folle intrépidité et sourd aux conseils de prudence du commandant de Turenne. »

Une déception renforcée par l’interdiction de se rendre à Dakar à cause d’un cas de fièvre jaune. « Le simple atterrissage sur le terrain de Dakar nous valut de voir, dans la nuit au départ du terrain de Zinder, un spectacle étrange : deux fantômes blancs montaient successivement dans chaque appareil, munis d’un instrument bizarre : c’étaient deux infirmiers délégués par les toubibs de l’endroit, et chargés de fly-toxer consciencieusement nos avions pour détruire l’hypothétique et terrible moustique. »

« L’Afrique équatoriale française fut, pour la plupart d’entre nous, une véritable révélation. » « Je crois que de toute cette longue croisière, notre meilleur souvenir fut Bangui. Bangui et son immense fleuve glissant entre les deux parois abruptes et sauvages de la forêt équatoriale. » La chasse n’y est pas étrangère. Avec le commandant de Turenne et le capitaine de Castets, il devait aller chasser le buffle. Un contretemps. Ils se rabattirent sur les éléphants : « La chance ne nous favorisa pas. »

L’escadre arriva à Alger, le 18 décembre. La croisière aurait pu s’arrêter-là. Pierre Cot ne voulait pas qu’elle aille plus loin à cause de tensions avec l’Espagne. Il céda et la croisière reprit son chemin. Les officiers d’Alger organisèrent un banquet pour les aviateurs. Enfin, pas tous, les officiers seulement…

La solidarité des capitaines de Tours. (Famille Crestey-Lewandowski)

Ce n’est qu’après les fêtes que les vingt-huit avions remontèrent vers Paris. Ils étaient à Lyon le 7 janvier puis à Étampes le 10. C’est là que le capitaine Crestey et le sergent-chef Würthèle retrouvèrent la Croisière africaine après être allés directement d’Istres à Tours. Trente minutes de vol, pour rejoindre Le Bourget, le 15 janvier. Ce jour-là, le président de la République, Albert Lebrun remit la Légion d’honneur au capitaine Crestey et la Médaille militaire au sergent-chef Würthèle.

Un nouveau commandement

Une grande réception fut donnée. Cette fois tout le monde y était, même les sous-officiers. L’armée de l’air invita d’ailleurs des officiers des régiments dont des aviateurs avaient été retenus : le lieutenant-colonel de Castel représenta la demi-brigade de Tours. Tous ? Non. Les deux équipages qui avaient abandonné au tout début étaient absents…

Le capitaine Crestey devant un Breguet 27 de la C 56 qu’il a commandée
à son retour. (Famille Crestey-Lewandowski)

A Tours, les deux aviateurs tourangeaux retrouvèrent leur activité d’avant la Croisière noire. Le 31e régiment était devenu la 31e escadre depuis le 1er janvier. Jean Crestey quitta le commandement de la 11e escadrille pour celui de la 4e (ex-14e). Un Breguet 27 à la place du Potez 25 A2. Jusqu’à son départ pour l’état-major de l’armée de l’air en 1936.

Didier Lecoq

Le parcours, publié dans le n°20 du Bulletin technique des avions H. Potez.

8 novembre : Istres – Perpignan (1 h 40) puis Perpignan – Los Alcazares (4 h 15)
9 novembre Los Alcazares – Rabat (5 h 45)
11 novembre : Rabat – Colomb-Béchar (3 h 30)
12 novembre : Colomb-Béchar – Adrar (3 h 15)
13 novembre : Adrar – Bidon V (4 h 40)
14 novembre : Bidon V – Gao (4 h 20)
16 novembre : Gao – Mopti (3 h 35) et Mopti – Bamako (3 h 40)
19 novembre : Bamako – Kayes (reste à Kayes
20 novembre : Kayes – Dakar et Dakar – Saint-Louis
23 novembre : Saint-Louis – Kayes
24 novembre : Kayes – Segou (5h)
25 novembre : Segou – Ouagadougou (4 h 05)
26 novembre : Ouagadougou – Niamey (3 h 30)
29 novembre : Niamey – Zinder (5 h 10)
30 novembre : Zinder – Fort-Lamy (5 h 15)
1er décembre : Fort-Lamy – Fort-Archambault (3 h 35)
2 décembre : Fort-Archambault – Bangui (3 h 45)
5 décembre : Bangui – Batangafo – Fort-Archambault (5 h 15)
6 décembre : Fort-Archambault – Fort-Lamy (3 h 25)
7 décembre : Fort-Lamy – Zinder (4 h 10)
8 décembre : Zinder – Niamey (4 h 25) et Niamey – Gao (2 h 20)
12 décembre : Gao – Bidon V – Adrar (8 h 40)
13 décembre : Adrar – El Golea (2 h 50)
14 décembre : El golea – Touggourt (3 h)
15 décembre : Touggourt – Tunis (3 h 20)
18 décembre : Tunis – Alger (4 h 45)
21 décembre : Alger – Oran (2 h 45)
22 décembre : Oran – Meknès (3 h 20)
23 décembre : Meknès – Los Alcazares (4 h 30)
24 décembre : Los Alcazares – Istres (5 h)

A propos Didier Lecoq 89 Articles
Journaliste honoraire. Secrétaire général de la rédaction à la Nouvelle République, à Tours, jusqu'en 2020.

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