Jean Tulasne, c’est quoi le métier de pilote militaire ? En 1937 le jeune officier a joué le conseiller d’orientation pour les parents de Pierre Rouxel, le dernier pilote de chasse de la Bataille de France.
Pierre Rouxel est décédé le 16 avril 2023, à Levallois où il vivait. Il était dans sa 104e année. C’était – à notre connaissance – le dernier pilote de chasse à avoir combattu lors de la Bataille de France. Nous avions échangé plusieurs fois au téléphone en attendant une rencontre qui n'a jamais pu avoir lieu (Covid, emploi du temps, etc.). Roger Rouxel m'avait envoyé plusieurs photos. Didier Lecoq
Pierre Rouxel est né le jour de Noël 1918, rue des Halles à Tours. C’était le cinquième enfant de la famille, le troisième garçon. Six autres enfants ont suivi. Son père, Léon, était courtier en marchandises. Comme son grand-père, également à Tours.
Diplômé de l’école des Hautes Études commerciales, son père avait travaillé à Londres avant de revenir à Tours. Léon Rouxel avait fait la Grande Guerre comme chauffeur, dans le Train des équipages, après avoir été mobilisé au 66e régiment d’infanterie de Tours.
Avec l’autorisation des parents
En 1925, la famille s’est installée rue Néricault-Destouches. Pierre Rouxel a fait ses études à Saint-Grégoire, au petit collège, avenue de Grammont de Tours puis ensuite au grand. Comme les Tulasne et tant d’autres.
A 19 ans, Pierre Rouxel souhaitait devenir pilote. Quelle drôle d’idée pour cette famille qui n’y connaissait rien. Il lui fallait la bénédiction de ses parents. Ces derniers ont donc décidé de faire appel à un jeune officier pilote, ami de leurs filles : Jean Tulasne. L’une d’elles avait même été demoiselle d’honneur au mariage de Jean Tulasne le 18 juillet 1935 en la cathédrale de Tours.
“Jean Tulasne est venu expliquer à mes parents quel était le mécanisme pour devenir pilote militaire.” La voie choisie : devenir boursier de pilotage. Le discours a porté puisque les parents de Pierre Rouxel l’ont autorisé à s’inscrire. Et il a été retenu sur concours (1).
L’avantage d’une bourse de pilotage, même si on passait trois ans à l’armée au lieu des deux années du service militaire, permettait de passer le brevet de pilote gratuitement, d’être logé, nourri et blanchi, de voyager à demi-tarif. En théorie on ne pouvait pas s’engager au bout des trois ans. mais avec la guerre…
Direction Angers
Direction Angers et l’école de pilotage de la Compagnie Française d’Aviation avec une petite trentaine d’élèves dont deux futurs pilotes de chasse du Normandie-Niémen, André Largeau et Roger Sauvage.
Premier arrêt, Tours et le bataillon de l’air 109 dont dépendait la Compagnie Française Aérienne d’Angers, le 27 avril 1937. Il signait là son engagement de trois ans, comme tout boursier de pilotage. Après une semaine pour “devenir soldats”, lui et ses nouveaux camarades rejoignent l’aérodrome d’Angers, à Avrillé, le 4 mai. Ils ont droit à un petit article dans le Petit Courrier de l’Ouest du 5. Un séjour de plusieurs mois avec, à la clé, le brevet de pilote militaire. Puis l’examen de sergent. Et la perspective, les trois années passées, de devenir officier de réserve.
Avec André Largeau
L’école était commandée par André Pâris, pilote de la Première Guerre. Il y avait trois moniteurs civils : Dubois, Philippe Longin et Marcel Raymondet. Le capitaine André Seigneurie, ancien pilote de chasse de la Première Guerre, était l’officier contrôleur affecté par la base aérienne de Tours. La promotion a été partagée en trois groupes. “J’avais Dubois comme moniteur civil. J’étais avec Paul Audrain”, se souvenait Pierre Rouxel. Il y avait aussi André Largeau dans son groupe.
Le parcours d’un débutant
Comme la plupart des élèves, Pierre Rouxel ne possédait pas son brevet de pilote civil. Il a donc fallu commencer par des lignes droites avec le rouleur avant la double-commande sur Morane-Saulnier 147. Puis il est passé sur MS.130 et enfin sur MS.230, notamment pour les épreuves du brevet . Il a apprécié le MS.230 d’Angers. “On en faisait ce qu’on voulait, montée à 2 ou 3000 m, on le laissait retomber en chandelle, vrilles, on lâchait tout et ça repartait. On s’amusait.” Les élèves ne faisaient pas que voler. Le matins étaient consacrés aux cours techniques et à l’instruction militaire.
La élèves avaient également droit à des cours techniques. Cela leur prenait la moitié de la journée. Pour l’examen, il y avait cinq interrogations techniques (notions générales élémentaires, notions relatives aux moteurs, à l’équipement, au pilotage et à la navigation aérienne) ; s’y ajoutaient trois notes pratiques (préparation de l’avion, étude d’itinéraire, préparation d’une mission). Et enfin, une neuvième note était attribuée par l’officier contrôleur, une appréciation générale au cours de l’instruction.
Les épreuves du brevet comportaient une montée en altitude, des lignes droites et deux triangles (un en passant par Tours, l’autre par Nantes). Après le brevet (n°25826 le 19 août 1937), est venu le temps du Potez 25. Un avion avec un gros moteur. “J’ai dû en faire 80 heures”.
Un groupe d’observation à Bourges
Pierre Rouxel se rêvait chasseur. Mais son classement, et les affectations disponibles, l’ont envoyé à Bourges, au GAR 544 (3), sur Breguet 27. Il y est arrivé début mars 1938. Le meilleur souvenir qu’il a de cette affectation, c’est d’y avoir rencontré sa future épouse, Solange.
En 1939, il rejoint le Groupe de Chasse III/2, à la 6e escadrille (la Spa 100), à Chartres. Non pas sur un avion de chasse mais sur Potez 631 de commandement. Un concept intéressant puisque ces avions étaient censés observer le ciel et guider les chasseurs. Mais il avait un gros défaut : “La radio ne marchait pas. C’était également un avion délicat au démarrage à cause de ses moteurs Hispano-Suiza”, nous avait-il précisé.
La chasse à Chartres au début de la guerre
Le séjour d’avant-guerre a permis à Pierre Rouxel de voler sur plusieurs avions. “Quelques heures sur le Loire 46 – il en restait un – à la section d’entraînement qu’on prenait quand on voulait car il n’intéressait personne. à cause de nombreux ennuis de moteur”. Sur Dewoitine 510, “mais je ne l’ai pas beaucoup aimé, ce n’était pas un avion facile.”
Et bien sûr le Potez 631 avec lequel Il a effectué plusieurs missions, depuis Cambrai-Niergnies où le groupe a été positionné dès le 27 août 1939. Pas très longtemps pour lui. “De Niergnies j’ai été envoyé à Chartres pour le peloton des EOR”. Avant d’être rappelé fin avril. Il s’est entraîné sur MS.406 à Chartres où se trouvait le Centre d’instruction chasse.
Changement d’avion d’armes à Bourges
Le 10 mai 1940 lorsque les Allemands mettent fin à la Drôle de guerre, Pierre Rouxel est à Cambrai-Niergnies avec le GC III/2. “Nous habitions dans une ferme, au bord du terrain. A 5 heures du matin, j’entends un bruit, je sors et je regarde. Quelques éclats de DCA et des bombes qui tombent. Nous étions bombardés sans que l’alerte ait été donnée.” Le sergent-chef Moret est le seul à pouvoir décoller pour attaquer les bombardiers allemands.
Un nombre important de MS.406 ont ainsi été détruits dès le premier jour. Retour en Eure-et-Loir pour chercher leurs remplaçants, à Châteaudun. Quelques missions sur place, toujours en Potez 631, le temps de livrer des avions au GC III/2 et Pierre Rouxel suit son unité qui part à Avord. Début juin, le groupe y est transformé sur Curtiss H.75. S’il trouvait le MS.406 “facile”, Pierre Rouxel apprécie “la vitesse ascensionnelle” de ce nouvel avion.
Une victoire en 1940
Son groupe se déplace ensuite à La Perthe. C’est en décollant de ce terrain avec plusieurs pilotes de son groupe que, le 8 juin 1940, il partage sa seule victoire, sur un Henschel 126, un avion d’observation allemand très coriace et très maniable. il participe également au mitraillage de colonnes blindées allemandes, “des combats d’arrière-garde”. Il est cité à l’ordre de l’aviation de chasse le 23 juin 1940 : “Jeune pilote de chasse qui a montré, dès son arrivée à l’escadrille, les plus belles qualités de courage”.
Le 20 juin, GC III/2 traverse la Méditerranée, direction Alger, jusqu’à sa dissolution à Oran le 25 juin. Pour le sergent Pierre Rouxel, c’est la fin de la guerre. “J’ai été démobilisé au Maroc. Ils n’ont plus voulu de moi.”
Pierre Rouxel a épousé Solange Bourne le 29 novembre 1940, à Tours. Le couple s’est installé à Nantes. Pierre Rouxel a travaillé pour La Cellulose du Pin, Saint-Gobain, l’Agence Havas, etc. Loin des avions.
Didier Lecoq
(1) André, le frère ainé de Pierre Rouxel, né en 1915, a également demandé à ses parents l’autorisation de devenir pilote alors qu’il était mobilisé au Levant, en 1940. Bénédiction reçue. Le 30 juin, il a rejoint les forces britanniques puis la France Libre, au sein du 1er Escadron de spahis de Jourdier. Le 2 janvier 1941, à Umbrega, en Erythrée, il a participé à celle qui est considérée comme la dernière charge de cavalerie française, sabre au clair, contre les Italiens. Après avoir combattu en Egypte et en Tunisie, André Rouxel a débarqué en Normandie avec la 2e DB de Leclerc, direction Paris, Strasbourg, la campagne d’Alsace et l’Allemagne. André Rouxel a été fait Compagnon de la Libération. Il est décédé le 20 mai 2004, à Tours. André a également demandé l’autorisation à ses parents de devenir pilote lorsqu’il était au Liban. Même demande lorsqu’il était avec les Français Libres. Mais partir de longs mois au Canada ne l’a sans doute pas enchanté. Il a rejoint la 2e DB.
(2) César Garbès, venu d’Oujda (Maroc) ajoutera son nom à cette liste. Seul René Helwig, un dessinateur-architecte alsacien, ne sera pas breveté militaire.
(3) Le GAO 544 de Bourges n’a été que très peu engagé pendant la guerre. Il n’a eu que deux blessés.
Les disparus de la promotion
Roger Pezé, un jeune Parisien de 19 ans, a trouvé la mort le 13 mai 1937, frappé à la tête par une hélice, à Angers.
Maurice Guilloux, GAO 1/508, tué en combat aérien le 26 mai 1940.
Camille Louis, GC II/7 (2 victoires), tué en combat aérien le 5 Juin 1940.
Ernest Dupisseau, GAO II/551, disparu en mer le 18 juin 1940.
Paul Audrain, GC II/5, mort en service aérien commandé le 5 février 1941, au Maroc.
Pierre Faure, mort en service aérien commandé le 17 mars 1943.
André Largeau, GC 3 Normandie, disparu le 14 septembre 1943 en URSS.
Pierre Roy, GC 1/5, disparu en mer le 21 janvier 1944.
Lucien Poulard, GR I/52, résistant du groupe SR Alliance, fusillé en Allemagne le 21 août 1944.
Pierre Dallas, GC III/9 puis ECN 5/13, résistant du groupe Alliance, recruté par Lucien Poulard, fusillé le 21 août 1944 en Allemagne.
Louis Baillon, GB 1/25, abattu le 24 décembre 1944 à Düsseldorf.
Marcel Jurvillier, GR 3/33, disparu en mer le 30 avril 1945
Louis Delvolvé, GC 2/9, mort en service aérien commandé le 16 juillet 1945 à Zurich.
Fernand Richard, pilote de la patrouille d’Étampes, pilote d’essais, mort en service aérien commandé le 20 février 1957.
Une dizaine d’élèves de l’École Nationale Supérieure d’Aéronautique, passés par la préparation militaire supérieure, les ont rejoins pendant l’été à Avrillé, dont les futurs généraux de l’Air, Gustave Stanislas et Jacques Tardy de Montravel ; ainsi que Félix Jacquemet, GC II/8 (2 victoires), résistant (SOE notamment), Compagnon de la libération, mort en service aérien commandé en convoyant un Spitfire en Angleterre le 14 octobre 1945 ; et Henri de Rohan-Chabot, GC II/2 (3 victoires), tué en combat aérien le 14 Mai 1940.
Ils sont passés par Angers
740 brevets militaires ont été attribués à Angers, à l’école Richard (1922 à 1927) reprise par la Compagnie Française d’Aviation (1928-1939). La CFA avait une autre école pour les boursiers de pilotage, à Nîmes.
Parmi les brevetés militaires d’Angers, on trouve aussi les Tourangeaux Jean Anthonioz (1923), Paul Colin (1928), Jacques Rivallant (1935), Robert Rossy ou Albert Bouguereau (1938).
Mais aussi Louis Rouland (1926), Camille Plubeau (1929), Yves Carbon (1930), Adrien Bernavon (1931), Claude Dellys (1932), Alain Le Guennec (1934), Jacques Vouzellaud (1934), André Largeau, Roger Sauvage (1937), Marcel Lefèvre, Jacques de Puybusque, Louis de La Rocque (1938), Louis Notteghem, Maurice Bon, Georges Le Calvez (1939).
Avec la guerre, l’école est devenue l’EAP 14 (école auxiliaire de pilotage). Sont notamment passés par Angers : Xavier de Montbron, Raphaël Lombaert, Jean Maridor, Roland de La Poype, Charles Ingold, Jacques Guignard, Gérald Léon, Claude Béasse, Pierre Blangy, Jean Reveilhac, Maurice Traisnel…
A lire
- La Soif de l’air, par Roger Sauvage (Éditions André Martel). La jeunesse du pilote du Normandie-Niemen, son brevet civil, son passage à Angers et son affectation au GAO de Strasbourg. Il y parle d’André Largeau qui a été son copain d’aéro-club à Paris. Il y a quelques petites photos. Dont deux avec Largeau pas de grande qualité.
- Albert Bouguereau y a passé son brevet militaire avec un autre futur pilote du Normandie-Niemen, Marcel Lefèvre. Lire
- André Rouxel, Six années au service de son pays par Jacques Rouxel. La guerre de ses frères y est évoquée mais pas d’informations sur Pierre Rouxel. Livre imprimé par CLD à Chambray-lès-Tours. Mon exemplaire m’a été offert par François Tulasne (le fils de Jean).
- Le portrait d’André Rouxel sur le site des Compagnons de la Libération. Lire
- Le trimestriel Les Ailes a publié un article sur Pierre Rouxel In Memoriam dans le numéro 9 de juillet 2023 sous la plume experte de Lionel Persyn. Le commander
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