Jules Costa, radio d’Air France, fait partie – avec Félix Falières, technicien radio dans la même compagnie – des résistants fusillés sur la base de Tours, le 9 août 1944, juste avant le départ des Allemands. Ils appartenaient au réseau Marco-Polo.
Depuis un mois et demi, la bataille fait rage en Normandie. Comme de nombreux Français, les Tourangeaux attendent l’heure de la libération. Certains y travaillent activement. C’est le cas des résistants du groupe Baobab qui appartiennent au réseau Marco-Polo. Leur rôle, transmettre des informations à Londres. La première centrale d’émission a été installée à Chambray-lès-Tours ; elle fut ensuite, pour des raisons de sécurité, transférée à Saint-Pierre-des-Corps. Parmi eux, l’un des fondateurs du réseau, Jules Costa.
Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1944, c’est la grande rafle. Dénonciation, repérage de postes, difficile de le dire. Presque tous les membres de Baobab sont arrêtés par les Allemands. Certains parviennent à s’échapper comme Marcel Le Minor, dont le café du « Père Lunette », place des Halles, sert de PC au groupe (1) ; sa femme et sa fille seront déportées. Ou Jean Fontbonne, le patron de l’hôtel des Familles, place des Halles, qui héberge des membres du groupe venus de Lyon. Sa femme et sa fille rentreront de déportation, mais sa fille, Jacqueline, modiste, 23 ans, décédera peu après.
Des résistants et un aviateur canadien
Arrêtés et torturés, les autres ne quitteront pas la Touraine. Jules Costa, Félix Falières, Jean Pige, François Vernaton, Auguste Simondon, Raoul Gernet, René Réneau, Georges Aubrun, Noël Bizien, Louis Loeb : ce sont leurs corps mêlés à ceux d’autres résistants – des FTP d’Esvres, des membres du groupe Mousquetaire, du réseau Bourgogne et un aviateur canadien caché par ce réseau d’évasion (2) – qui furent retrouvés le 27 août 1944, dans des trous de bombes de la base aérienne de Tours (3).
Ils ont tous été exécutés le 9 août 1944 par la Gestapo, le SD et les miliciens en fuite vers l’est (4). Les autres quitteront Tours dans le dernier convoi, parti de La Ville-aux-Dames le 10 août 1944. René Fontaine, Christian Plisson, Abel Cesbron et Maurice Noyant disparaîtront dans les camps allemands.
Un monument, à l’entrée de la base aérienne, rappelle cette page terrible vécue par la Résistance en Touraine.
Jules Costa avait rejoint la Résistance dès 1941, au sein du réseau Honneur et Patrie. A la fin 1943, il a créé, avec l’aide de quelques camarades, le réseau Marco Polo à qui est rattaché le centre d’antennes de Tours, appelé Baobab.
Radio dans la marine puis pour l’Aéropostale
Il a commencé sa carrière de radio dans la Marine où il s’est engagé fin 1917. Il y a passé quatre mois sur les chasseurs de sous-marins.
Après l’armée, il a choisi la Marine marchande en qualité d’électricien puis de radio, de 1925 à 1927. Cette année-là, il change d’élément. En décembre 1927 il est engagé comme radio, au sol, à la Compagnie Générale Aéropostale.
« Jules Costa fut le premier radio navigant à voler sur les Laté-28 – sur lesquels il resta jusqu’en 1929 – date à laquelle il fut chargé de procéder au montage de différentes stations radio fixes en Afrique », a dit M. Le Thomas, d’Air France, lors de l’inauguration de la station radio Jules-Costa, le 11 avril 1947, à Tanger. « C’est au cours d’une de ces missions, en août 1929, qu’il fut, avec l’équipage de l’avion qui le transportait, fait prisonniers par les Maures, à la suite d’un atterrissage forcé dans le désert. » Cela se passait au Maroc, à dix kilomètres au nord de l’oued Noun, près de Tiznit, le 11 août. Il faisait alors la ligne Casablanca – Dakar.
Prisonnier des Maures
Selon le Musée Air France, il faisait alors équipe avec Reine et Rolland. Mais le journal Les Ailes – entre autres – donne les noms de Rolland (pilote) et Vidal (mécanicien). Et ce n’est pas un mois de captivité qu’a connu le trio mais quelques jours seulement, du 11 au 16 août.
L’épave du Laté-26 immatriculé F-AIKX repérée (5), ce sont les officiers des affaires indigènes qui ont payé la rançon. « L’avion s’est trouvé en panne à la suite d’une chaleur excessive », a témoigné Vidal le 17 août à Casablanca. « L’atterrissage se fit normalement mais presque aussitôt l’avion fut entouré de cavaliers. »
Après une marche pénible de tente kilomètres, les trois aviateurs ont été bien traités, ce qui n’a pas empêché leurs hôtes de toucher une rançon et d’alléger Vidal des économies qu’il portait sur lui.
Une station radio à son nom
Jules Costa a monté les premières installations radioélectriques de sécurité aérienne à Tanger, en 1929. Il dirigera ensuite, jusqu’en 1937 : les stations de Port-Etienne le 1er septembre 1934, Casablanca le 15 avril 1935, Toulouse le 6 mai 1935, Tanger le 7 juin 1936 puis l’antenne principale d’Air France à Paris à partir du 22 septembre 1937.
Quelques mois après la Station Radio Jules-Costa de Tanger, fut inaugurée la Station Félix-Falières, à Alger. Ce Parisien n’était pourtant pas radiotélégraphiste mais technicien : inspecteur technique chez Philips Radio, chef d’atelier aux établissements SEMMCO Radio puis chef d’équipe chez Sonora, c’est en 1934, qu’il est rentré comme monteur radio à Air France.
Leurs épouses, déportées par le dernier convoi, en revinrent. Presque les seules.
Didier Lecoq
Notes
(1) La Nouvelle République du 28 juillet 1948.
(2) Parmi les fusillés de Saint-Symphorien, figurait un aviateur canadien, James McVicar Clement dont le Lancaster avait été abattu en juillet à Vouvray. Lire
(3) La liste des vingt-six personnes exécutées, sur le monument des fusillés de Saint-Symphorien. Lire
(4) La Nouvelle République du 13 septembre 1945 cite, parmi les tortionnaires, Clara Knecht, Clinet et Rousselet.
(5) Il s’agit du numéro 651. C’est l’ancien F-ESPD. Jean Mermoz et Négrin avaient effectué la traversée de l’Atlantique Sud avec ce Laté-26, en 1927.
Les fusillés de Baobab
• Jules Costa est né le 28 novembre 1901 à Venaco, en Corse ; son épouse, Antoinette Colonna (née en 1908 à Moltifao, Corse) est rentrée de déportation à Ravensbuck et Gusen.
• Félix Fallières est né le 4 mars 1907, à Paris. Son épouse, Lucienne Blatt, d’Aubervilliers, était dactylo. Elle a été libérée le 22 avril 1945 à Sachsenhausen.
• Jean Pige, 30 ans, opérateur radio, originaire de Lyon.
• François Vernaton , 22 ans, de Saint-Genis-Laval (Rhône).
• Auguste Simondon, 21 ans, de Brignais (Rhône).
• Raoul Gernet, 23 ans, était employé au Secours national et demeurait 24 ter rue de l’Alma à Tours.
• René Réneau, 31 ans, était employé du gaz ; il a été arrêté à son domicile, rue du Sénateur-Belle, à Tours. Sa mère, Célina, est décédée en déportation, le 15 février 1945 à Ravensbrück.
• Georges Aubrun, 30 ans, secrétaire de police, domicilié 21 quai d’Orléans à Tours, originaire des Ponts-de-Cé (Maine-et-Loire).
• Noël Bizien est né le 10 novembre 1913 à Brest (29). Il était gérant de cuisine, place de la Gare à Tours. Domicilié 1 rue Fosse-Marine à Saint-Symphorien ; son épouse, Suzanne, a survécu à la déportation.
• Louis Loeb, 27 ans, né à Oran (Algérie), domicilié avenue Lacassagne, à Lyon.
Les morts en déportation
• René Fontaine, 30 ans, était rédacteur à la préfecture de Tours. Il était originaire de Marcé-sur-Esves (Indre-et-Loire).
• Christian Plisson, 44 ans, employé au Secours national, demeurait à 30 quai du Portillon à Saint-Cyr-sur-Loire. Originaire de Saint-Servan-sur-Mer (Ille-et-Vilaine). Il est décédé le 7 avril 1945 à Lüneburg. DGER ? Son épouse, Georgette Pichon, 40 ans, est revenue de Ravensbrück (matricule 62898).
• Abel Cesbron (37 ans), de Trémentines en Maine-et-Loire, est décédé le 1er février 1945 à Wilhelmshaven . Il était maçon à Saint-Pierre-des-Corps.
• Maurice Noyant (37 ans), viticulteur à Chambray-lès-Tours, est décédé le 12 novembre 1944 à Wilhelmshaven.
• Marie Le Minor a été gazée le 6 mars 1945 à Ravensbrück.
Le curé de La Ville-aux-Dames, l’abbé Jérôme Besnard, était une des grandes figures du réseau Marco Polo. Il a survécu à la guerre. La Ville-aux-Dames dont les rues ne portent que des noms de femmes a trouvé le moyen de lui rendre hommage en baptisant une rue de son nom dans la Résistance, en référence à sa soutane; la Dame en noir.
Merci au musée Air France et à Jacques Moulin.
Didier Lecoq
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