Marcel Denis fait partie de ces militaires de la Grande Guerre dont le nom est suivi de la mention « porté disparu ». Disparu son corps mais aussi son nom, un peu. Disparu le 15 juillet 1918, à Dormans, dans la Marne.
Comment ce pilote amboisien de 22 ans est-il mort pour la France, le 15 juillet 1918 ? Sa fiche, sur Mémoire des hommes, mentionne un combat aérien. De ces combats, avec un avion en feu – surtout fait de bois et de toile – dont il ne resterait plus grand-chose une fois arrivé au sol.
Sa citation du 11 janvier 1919 évoque une attaque contre une passerelle allemande, lors de la deuxième bataille de la Marne. Cette journée était, côté allemand, le Friedensturm, l’Offensive pour la paix. L’aviation française s’est concentrée sur la Marne pour bloquer les renforts allemands. Avant la contre-offensive de Foch, la retraite allemande. Et l’Armistice, faute de paix.
Les carnets de comptabilité en campagne de son escadrille, la Spa 162, mentionnent une disparition en patrouille le 9 juillet. Même le ministère de la Guerre était incertain sur son sort, puisqu’une demande de renseignements a été transmise à l’Allemagne via la Croix-Rouge à Genève.
Son nom figure bien sur une plaque du caveau familial Denis-Cassin-Mangeant, à Pocé-sur-Cisse mais elle est récente, 1986. Dernier élément, son décès n’a été transcrit sur l’état civil d’Amboise que le 1er juin 1922.
Une seule victoire homologuée
Marcel Denis n’a eu qu’une victoire homologuée. Mais quelle victoire. Avec quatre de ses camarades de l’escadrille N 152 – dont l’insigne peint sur les fuselages représentait un crocodile – il a contraint le zeppelin L 49 (LZ 96, Luftschiff Zeppelin) à se poser à Bourbonne-les-Bains, en Haute-Marne.
Un monstre de toile, de métal et de gaz défendu par des mitrailleuses, long de 188 m, 25 de large, sorte de croiseur volant, qui avait pour défaut d’être lent et peu manœuvrable et pour qualité de pouvoir voler très haut. Un des zeppelins est monté jusqu’à 7.600 m pour échapper aux défenses, cette nuit-là.
Un dirigeable zeppelin presque neuf puisqu’il a effectué son premier vol le 13 juin 1917. Comme l’essentiel des zeppelin, il était mis en œuvre par la Marine allemande.
Un raid d’envergure de la marine allemande
Dans la nuit du 19 au 20 octobre 1917, la Marine allemande a lancé treize de ses dirigeables sur l’Angleterre, histoire de redorer son blason. Histoire de prouver que ce gros cigare avait encore une utilité. Certes, les Luftschiff Zeppelin ont bombardé Londres. Mais, entre le mauvais temps, les défenses britanniques et françaises, leur retour a tourné à la déroute. Cinq ont été perdus.
Deux d’entre eux ont croisé la route des petits chasseurs de l’escadrille N 152. Cinq Nieuport 27 exactement, en formation en V : le sous-lieutenant Lefèvre en pointe, le lieutenant Lafargue en retrait à gauche et le caporal Denis à droite ; puis aux pointes du triangle, le caporal Gresset et le maréchal des logis de La Marque.
Ces deux zeppelins qui cherchaient à traverser le front pour rejoindre l’Allemagne, ont été aperçus puis poursuivis par plusieurs escadrilles mais aussi la DCA.
Brevet de pilote militaire à Tours
Mais revenons sur le parcours de ce jeune Amboisien que rien ne disposait à partir à l’assaut d’un zeppelin – et même deux – avec quatre autres pilotes des Crocodiles.
Il est né le 28 février 1896, à Amboise. En 1911, sa famille demeurait 32 rue de Pocé, l’actuelle rue Jules-Ferry qui mène à la gare. Il a également vécu à La Ramée, où se trouve actuellement la zone commerciale de Pocé. Sont présents en 1911, son père, sa sœur Marguerite et son mari, sa rentière de tante, une bonne, un jardinier et un comptable. Son père est minotier, son beau-frère est grainetier. Marcel Denis ne vit déjà plus là. Sa profession mentionnée sur sa fiche matricule militaire au moment de son incorporation est meunier.
Marcel Denis devait être mobilisé en 1915. Mais il a été ajourné. Peut-être pour des raisons de santé. Il n’a jamais connu les tranchées. Son univers militaire sera celui du vent et des ailes. Il est renté directement dans l’aviation avec un parcours classique de tout élève-pilote : Dijon pour apprendre à devenir militaire puis la formation sur Caudron G3, à Tours. C’est là qu’il obtient son brevet de pilote militaire, n°5384, le 14 février 1917. Il part ensuite à Avord pour sa première spécialisation. Il faut croire que ses résultats sont bons puisqu’il rejoint le Top Gun de la Première Guerre mondiale, l’école de Pau où se perfectionnent les pilotes de chasse.
Seul contre un second zeppelin
La suite est celle de nombreux pilotes. En escadrille avec la 152 où il occupe l’espace sans obtenir la moindre victoire. Plutôt chien de garde que chien de chasse. Jusqu’à cette rencontre avec le zeppelin immatriculé L 49. Les Nieuport n’ont pas abattu le mastodonte. Tels des abeilles, ils ont piqué, épuisé et découragé les marins allemands fatigués par la longueur du raid et le froid. Qui ont fini par se poser à Bourbonne-les-Bains où ils ont été capturés sans avoir réussi à mettre le feu.
C’est le seul Zeppelin récupéré (presque) intact. Le compte rendu de l’attaque publié dans La Guerre Aérienne Illustrée le 27 novembre 1917 par le sous-lieutenant Lefèvre précise que Marcel Denis, après avoir aiguillonné le L 49, a pris en chasse l’autre zeppelin. Seul. « Arrivé à 5.600 m d’altitude il lui livra combat à 800 mètres. Il fut pris sous le feu violent des mitrailleuses tirant des balles explosives. Puis il eut soudain une panne sèche d’essence et dut atterrir à Rouvres-la-Chétive (10 kilomètres de Neufchâteau) à 9 h 20.”
Changement d’escadrille
Il y a de bonnes raisons de croire que ce second zeppelin était le L50, copieusement mitraillé également par le caporal Ambrosio et le sous-lieutenant Hirsch. Le L 50 (LZ 89), qui accompagnait le L 49, a touché une colline, perdu deux nacelles, ce qui a permis à plusieurs membres de l’équipage de se sauver. Puis il a repris son chemin avec un minimum de personnes à bord avant de disparaître corps et biens dans la Méditerranée. Une sacrée odyssée.
Le L 45 (LZ 85) peut être une alternative. Se croyant en Suisse, il s’est posé dans les Alpes, près de Sisteron où il a été incendié.
Cette nuit de combat a valu la croix-de-guerre à Marcel Denis, accompagnant la citation reproduite dans le journal de Tours, La Dépêche, le 24 décembre 1917 : « Pilote très habile, d’une rare audace, s’est élancé seul sous un feu violent à l’attaque d’un zeppelin qu’il n’abandonna qu’après 2 heures et quart, par suite du manque d’essence. A eu la main droite gelée au cours du combat. »
Marcel Denis a revendiqué une seconde victoire, le 18 janvier 1918, mais elle n’a pas été homologuée. Il a changé d’escadrille le 28 janvier 1918. La 162 a été créée par dédoublement de la 152. Après le Nieuport 27, le Spad VII. C’est au sein de cette escadrille qu’il a trouvé la mort. Sans qu’on sache vraiment où, ni vraiment comment.
Didier Lecoq
Pilotes de chasse d’Amboise et d’autour d’Amboise
Plusieurs pilotes amboisiens (ou proches) ont participé à la guerre de 14-18.
Le plus connu est bien sûr Maxime Lenoir, de Chargé, as aux 11 victoires. Il y a également son frère, Denis. Lire
Mais aussi Maurice Delépine, qui est né à Ville-David, donc à Saint-Denis-Hors, clerc de notaire avant la guerre, deux victoires homologuées. Il a également vécu à La Croix-en-Touraine. Il a survécu à la guerre mais a trouvé la mort en service aérien commandé, près d’Epernay, le 23 novembre 1922 dans un accident d’avion.
Sans être originaire de Chenonceaux, son nom est attaché au château dont son père, Gaston Menier, sénateur d’Indre-et-Loire était propriétaire : Jacques Menier a été grièvement blessé et brûlé en 1917 lorsqu’il était à l’escadrille Spa 84. Prisonnier pour la fin de la guerre.
Sans être pilote de chasse, Henri Lemaître, né à Bléré, a obtenu deux victoires grâce à son mitrailleur alors qu’il commandait l’escadrille Br120 sur Breguet 14. Un des grands as français du bombardement. Mais pas que… Lire
Un autre aviateur figure sur le monument aux mort d’Amboise mais il n’était pas chasseur. Cyrille Jacquet, né à Mosnes le 25 mars 1887, ancien coureur cycliste chez Alcyon, chaussonnier, avait ouvert un magasin de cycles rue Jean-Jacques Rousseau, à Amboise, juste avant la guerre. Pilote dans une escadrille de reconnaissance, il est décédé dans le bombardement de son terrain, le 5 juin 1917. Inhumé à la Nécropole nationale de La Croix-Ferlin de Bligny (Marne).
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