Après la guerre, les meetings d’aviation ont repris à Loches (Labatut) et Chinon (Haegelen) en 1920 puis à Pont-Cher en 1921. Le meeting de Parçay-Meslay en 1922 marque les débuts – à domicile comme disent les sportifs – des aviateurs du 31e régiment d’aviation d’observation de Tours.
Mais quelle mouche a donc piqué La Touraine Républicaine, journal du soir de Tours ? La veille du meeting, le samedi 18 novembre 1922, son directeur, publiait « Une requête respectueuse au Général commandant le 9e Corps » dont le titre pouvait faire trembler les organisateurs du meeting :
« Vous ne pouvez pas autoriser
le meeting d’aviation de dimanche »
Le motif ? « Comment un meeting de propagande, subventionné par le ministère, comptant une escadrille de soldats, se déroulant sur un champ d’aviation militaire, peut-il, ose-t-il prendre l’allure d’une entreprise de publicité en faveur d’un journal communiste ? »
Un journal communiste ?
Bigre, quelques années après la révolution russe et deux ans après le congrès de Tours, acte de naissance du Parti communiste français, l’enjeu est de taille.
C’est un prospectus, lancé « à des milliers d’exemplaires » sur Tours par les aviateurs, qui a fait entrer le journal en résistance. Non, pas une publicité pour L’Humanité, mais pour Le Merle blanc, un journal satirique créé en 1919 par Eugène Merle, concurrent du Canard enchaîné. « Un journal, justifiera a posteriori André Chevalier, dans lequel, chaque semaine, le ministre la Guerre, lorsque ce n’est pas M. Poincaré, s’y trouve vilipendé avec une truculence qui ne fait qu’ajouter à la férocité. M. Maginot y est représenté comme un ivrogne débauché. Le président du Conseil comme un buveur de sang… »
Une chance pour les organisateurs, le délai entre l’article et la date du meeting, est trop court. « Nous n’avons pu toucher le ministère de la Guerre et il est difficile de prendre si rapidement une mesure d’interdiction, a répondu le commandant de Vasselot de Régné, du centre aéronautique du 9e corps. Mais je vais transmettre un rapport en règle, au ministère de la Guerre, je suis d’accord avec vous et je ne comprends pas que les aviateurs militaires prêtent leur concours à une si mauvaise cause. » D’accord peut-être mais ça n’a pas empêché Vasselot de courir au meeting, comme tous les notables de la ville : le préfet Grimaud, le colonel Camors, les capitaines Précardin et Gignoux du 31e régiment, etc.
Un as de la Spa 103
Le meeting a donc eu lieu. « En un mot, ce fut le triomphe ! Le grand triomphe », rapporte Le Journal d’Indre-et-Loire, le quotidien conservateur. Et pourtant, à l’article de La Touraine Républicaine, nettement minoritaire par rapport à La Dépêche, s’est ajouté un autre défi pour les organisateurs : le changement de lieu décidé deux jours avant l’événement. Le meeting devait se dérouler à la Gloriette, cette prairie située au bord du Cher, au pied de Joué-lès-Tours. Mais l’état du terrain, en zone inondable, a contraint le meeting à émigrer vers le camp d’aviation militaire de Parçay-Meslay.
Les organisateurs, qui sont-ils ? Côté Touraine, on y trouve l’Aviation Club, une association créée depuis peu par des aviateurs de la Grande Guerre, notamment André Pichard, Pierre Doutrebente ou Max Ducimetière (1).
Quant à la Publicité aérienne (2), initiatrice du meeting et du lâché de prospectus, elle était dirigée par les deux pilotes vedettes, Auguste Ledeuil, détective avant-guerre, compagnon d’escadrille de René Fonck au sein de la Spa 103 (sept victoires en 1922, quatre en 2000…) et Philippe Giquel, ancien pilote de Caudron triplace.
En présence de Jean Foiny
Le meeting de 1922 est le premier en Touraine, à faire appel à l’aviation militaire. Le plus connu des aviateurs de Parçay-Meslay, l’adjudant Jean Foiny, auteur en août d’un raid Tours – Paris – Dijon – Lyon – Istres – Pau – Tours, a d’ailleurs ouvert le bal, par une démonstration de vol plané, sur un Sopwith : « Celui-ci évolue avec une aisance remarquable, descend des 800 mètres, l’hélice bloquée, et vient se poser sur le sol ».
Autre vedette militaire, le lieutenant Augustin Gonnet dont le nom revient souvent dans les colonnes des journaux tourangeaux, qui, sur son Salmson, « moteur arrêté, décrit dans le ciel des orbes élégantes ». La séance de voltige (« vrilles impressionnantes, loopings ») était l’œuvre du capitaine Simon, sur un Caudron C-59 (3). Plus loin dans le meeting, l’armée soignait « sa publicité » avec l’attaque d’une formation de cinq Salmson de la 7e escadrille du 31e régiment (capitaine de Langlade, lieutenants Thibaudeau et Renard-Duverger, adjudants Cayrolle et Delalande) par le capitaine Simon.
Des parachutistes débridés
Les aviateurs civils n’ont pas été en reste, à l’image de Ledeuil, sur son Morane AR qui, commente Le Journal d’Indre-et-Loire, « exécute en virtuose des loopings qui arrachent de profonds soupirs de la poitrine des spectateurs ».
Impossible, en ces années d’après-guerre, d’organiser un meeting sans parachutes. « C’est d’abord M. Esaldo – un Tourangeau – qui se laisse glisser de 300 mètres et qui atterrit en souriant », raconte La Touraine Républicaine, profil bas, dans son édition datée du 22 novembre. « Le sympathique M. Chalandot qui part sur le plan droit de l’appareil, s’élance ensuite et, durant la descente, exécute des mouvements de natation pour la plus grande joie des spectateurs », poursuit La Dépêche.
Le parachutiste néophyte, affirme, une fois au sol que « c’est un véritable jeu. D’ailleurs ainsi suspendu, j’aurais pu prendre un cliché du terrain. » Une double descente en parachute pour terminer, « descente effectuée avec les appareils dorsaux Ors. D’abord une jeune parachutiste: Mademoiselle Liane d’Arcy et ensuite M. Romaneschi qui descend la tête en bas » ! Il n’était pas question, en 1922, de règles de sécurité.
L’accident de Ledeuil et Gonnet
Le meeting y alla d’ailleurs de son accident comme l’explique La Dépêche. « Ledeuil, au moment d’atterrir au ralenti, était survolé par le lieutenant Gonnet qui, descendant en vol plané, ne pouvait manœuvrer à son gré. L’aile gauche du Salmson accroche l’aile droite du Morane et le premier avion, piquant du nez, capote, tandis que l’autre appareil vire sur place. On se précipite: les aviateurs sont déjà sur pied, sans autre dommage que de légères écorchures ».
Des baptêmes de l’air sont également organisés. C’est ainsi que le préfet Grimaud prend l’air dans un Sopwith piloté par Guillaume Busson. Et La Touraine Républicaine aurait voulu lui faire manquer ça ?
Didier Lecoq
(1) Association Loi 1901 déclarée sous le numéro 406, le 11 février 1922, en préfecture d’Indre-et-Loire. Ses premières réunions se déroulèrent au café de l’Univers, à Tours.
(2) 103 avenue de Neuilly à Neuilly-sur-Seine. C’est le domicile des parents de Philippe Giquel (25 ans).
(3) Dans la demande d’autorisation adressée par Auguste Ledeuil au préfet d’Indre-et-Loire le 4 novembre, les pilotes annoncés étaient Ledeuil, Giquel et Pitot ; les avions, un Caudron C-57 (ou C-59) immatriculé F-ADCC, un Morane AR F-ADDA, un Nieuport 28 et une escadrille du 31e régiment d’aviation de Tours. Ces immatriculations ne correspondent pas à celles qu’on trouve sur le registre F de Pascal Brugier. http://www.aviafrance.com/
(4) Jean Ors, avant de devenir un grand fabriquant de parachutes, avait souvent fréquenté l’aérodrome de Pontlevoy. Une présence qui s’était terminée en fait divers.
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