Radiographie de la base aérienne de Tours en 1939

Été 1939, la guerre approche. Pour beaucoup, c’est une certitude. L’armée française s’inquiète de son retard, notamment l’armée de l’air. Pour la base aérienne de Tours, manœuvres et inspections se sont succédé. Les rapports de ceux qui sont chargés de prendre son pouls montrent son retard. État des lieux.

Pochart, Abgrall, Veaux et Demesmay devant un Bloch 200 de la 31e escadre.
(@ Laurent Pochart)

Mais d’abord, plantons le décor. Ouverte en novembre 1915, l’école militaire d’aviation de Tours a été cédée deux ans plus tard à l’armée américaine. Ce n’est qu’en 1919, au moment du traité de Versailles, que le camp d’aviation est redevenu français. Le groupement aéronautique n°1 s’y est installé. Devenue 1er régiment puis 31e régiment d’aviation, l’unité a été consacrée à l’observation et à la reconnaissance. Après le passage de la 2e escadre de chasse (les Cigognes), la base aérienne est montée en puissance avec l’arrivée des bimoteurs et la création d’une seconde escadre en avril 1937, ce qui portait à huit le nombre d’escadrilles présentes à Tours.

Huit escadrilles de bombardement, une d’observation

Les deux escadres sont devenues escadres de bombardement, dotées pour l’une de Bloch 200, pour l’autre de Bloch 210. L’observation, spécialité tourangelle pendant près de vingt ans, est encore présente en 1939. Dans l’armée de l’air, cette fonction a été reprise par les groupes aériens d’observation. Tours en a récupéré un, le GAO 509, prévu initialement à Saumur mais fixé à Tours pour ne pas avoir à construire une nouvelle base en Maine-et-Loire.

Deux rapports permettent de mieux connaître ces neuf escadrilles. Celui du général Pennès, inspecteur général du bombardement, venu les 31 mai et 1er juin à Tours, qui s’est intéressé aux 31e et 51e escadres de bombardement ; et celui du général Houdemon, venu une semaine plus tard pour inspecter le GAO 509. Ces rapports permettent de comprendre un peu l’effondrement de 1940. Et le courage de ceux qui sont partis à la guerre en sachant qu’ils n’allaient pas lutter à armes égales.

De ses deux jours passés à Tours, le général Pennès a dégagé trois grands chapitres :

  • la carence du pilotage de nuit due en partie au mauvais état du terrain l’hiver ;
  • la déficience en matériel, au-delà du simple cas des avions (Bloch 200 et 210) ;
  • les problèmes de personnel qui ont touché la base en 1939.
Un terrain souvent impraticable

Les deux escadres souffrent d’abord de maux propres à la base aérienne. À cette époque où les avions s’envolent encore sur herbe, le terrain de Tours est handicapé depuis toujours par la mauvaise qualité du sol. Argileux, boueux l’hiver, il interdit tout vol pendant de longues périodes. Conséquence, les aviateurs volent peu. Surtout la nuit. Concernant la 51e escadre, le général Pennès note que « cette escadre n’a pas volé de nuit depuis près de dix-huit mois ». Pour une escadre qui vient de fêter ses deux ans, le constat est alarmant. Le remède : « Un très gros effort est donc à faire dans ce sens cet été »…

Les deux escadres connaissent également des problèmes d’effectif. Ou plutôt de qualité d’effectif. « Du fait de très nombreuses mutations survenues ces dernières années, la Brigade a perdu la plus grande partie de ses pilotes confirmés », note Pennès, tableaux des effectifs à l’appui.

La 31e a un déficit en capitaines – il en manque 19 – et un excédent en sous-lieutenants et lieutenants : il y en a 29 de plus que prévu. Les chiffres sont à peu près les mêmes dans les hangars d’en face, au camp Nord, ceux de la 51e : il manque onze capitaines et il y a trente sous-lieutenants et lieutenants de trop. Les équipes sont jeunes et manquent d’expérience. En juillet, le général Canonne qui commande la brigade, l’admet : un équipage de la 31e escadre sur trois est utilisable de jour comme de nuit. A la 51e escadre, un sur quatre seulement.

Le plus étonnant, c’est que la 31e escadre avait été retenue pour tester l’utilisation d’un avion éclaireur de nuit. En l’occurrence un Mureaux 115. Mais compte tenu du retard de cette unité, le général Pennès demande que cette expérience se déroule plutôt à la 12e escadre.

Le manque d’expérience est d’autant plus pénalisant qu’il s’ajoute à la mauvaise qualité du matériel : compliqués, Bloch 200 et 210 sont délicats d’entretien. Les mécaniciens sont les premiers à en faire les frais… pour un bien maigre salaire. Les équipages de Tours se plaignent des moteurs qui leur paraissent tous usés lorsqu’ils arrivent à 80 heures de fonctionnement environ.

Bas de plafond

Le lieutenant Gros, de l’inspection technique, venu à Tours les 5 et 6 juin, a classé les récriminations en trois catégories :

  • de nombreuses indisponibilités de moteurs 14 N consécutives à des avaries de cylindres ;
  • quelques cas d’incidents de fonctionnement en vol ou au sol des moteurs 14 N 10 et 11 ;
  • les plaintes des équipages relatives au plafond relativement bas atteint par les appareils (4.500 m environ).
Un Bloch 210 photographié à Tours par Robert Bézard. (@ Jean-Pierre Bézard)

Sans vraiment apporter de solutions. Comment aurait-il pu en être autrement ?

Une piètre répétition de la mobilisation, en mai 1939

Lors d’une inspection de mobilisation le 1er mai 1939, le GB II/51 devait mettre sur pied quinze Bloch 210. Ce jour-là, sept seulement étaient disponibles et quatre ont pu décoller.

Dans un autre rapport, le commandant du deuxième groupe pointe du doigt :

  • les conservateurs de cap « qui semblent perdre beaucoup de leurs qualité après 50 heures de fonctionnement » ;
  • les montres de bord, « très fragiles, constamment en réparation » ;
  • les compte-tours « fréquemment en panne » ;
  • les radiocompas, « matériel fragile » ;
  • les postes radio ;
  • les inhalateurs « dont le fonctionnement ne peut être vérifié au sol par suite d’absence de cloche pneumatique au parc depuis plus de six mois » ;
  • le matériel de téléphone Ericsson : « en l’absence de téléphone sur Bloch 210, aucune liaison intérieure n’est pratiquement possible en vue de combat et le déficit en relais de poitrine longs, pour commandant d’avion, interdit à ce dernier d’occuper le poste de tir avant, tout en restant en liaison avec le pilote ou avec les autres membres d’équipage. »

Le commandant Barberon se plaint également du manque de pièces de rechange et donne deux exemples : pour un atterrissage dur (un demi-train à changer), huit mois et demi d’indisponibilité pour le Bloch 210 n°136 ; le n°203 a eu son aile endommagée dans une collision au sol. Il faut refaire le bout de l’aile. Indisponibilité prévue : quatre mois.

Heureusement, le GB I/31 va commencer sa transformation sur LéO 45, un bombardier moderne. Quatre équipages formés à Reims rejoindront directement la Perthe à la déclaration de guerre.

Des perspectives d’utilisation extrêmement réduites

Autre exemple, donné par le général Pennès : une ciné-cible, ancêtre du simulateur de vol. La brigade en possède un, c’est un bon point. Mais cette ciné-cible n’a qu’une plaque, « ce qui limite singulièrement le nombre d’objectifs sur lesquels le bombardier peut faire des exercices. »

Et de demander un jeu de plaques pour que le personnel puisse faire des visées sur des objectifs très variés (voies ferrées, usines, terrains d’aviation, ponts, etc.). Mieux, si cette ciné-cible pouvait être sur un support instable comme celle utilisée pour le pilotage sans visibilité par les Américains, ce serait parfait. D’ailleurs il existe déjà un tel simulateur dans l’Hexagone. Chez Air France.

La conclusion du général Pennès n’est pas optimiste : « Il ne faut pas se dissimuler que, en cas d’hostilités, le travail aérien de nuit susceptible d’être exécuté par les formations de bombardement de la 6e division sera extrêmement réduit ». Trois mois plus tard, c’était la guerre.

Un Breguet 27 de la 1re escadrille (Sal 277). Le 120 de la 31e escadre (3e escadrille, Br 226) a été conservé au sein du GAO 509. C’est le seul identifié, pour le moment. (@ Didier Lecoq)
Le GAO 509 à la traine

Le petit dernier de la base aérienne de Tours n’est pas mieux loti. Les Breguet 270 dont il dispose sont totalement dépassés. Ils seront d’ailleurs interdits de mission de guerre deux semaines après le début du conflit. Là encore, le mauvais état du terrain a retardé la préparation. « Actuellement – le 8 juin 1939 – le GAO ne dispose que d’un équipage entraîné au vol de nuit et de trois équipages à l’entraînement. Quant à la reconnaissance à haute altitude, « très peu de missions. L’unité n’a reçu les masques Ericsson que depuis peu de temps ».

Si le niveau des militaires de carrière est jugé excellent, il n’en est pas de même des réservistes appelés à rejoindre l’unité en cas de conflit : le général juge leur valeur professionnelle « assez médiocre (pilotes) ou très médiocre (observateurs) ».

Un terrain d’aviation trop facile à repérer
La base aérienne fin novembre 1939, photographie pour la Défense passive.
Les grands hangars vont être peints.

Le branle-bas de combat ne touche pas que les hommes et le matériel. Les installations sont également concernées. De grands travaux sont prévus : le drainage et le nivellement de l’aire d’atterrissage (pour septembre 1939), la mise en place du magasin technique (pour le 25 août), une nouvelle centrale électrique (pour le 1er octobre) et deux nouveaux hangars Châlons-Bouy pour décembre.

Et les travail ne manque pas. Notamment côté camouflage car les hangars des deux escadres « sont visibles, de jour, depuis 30 km par temps clair », « de 2 à 5 km de nuit, par temps clair ». Les toits sont mis au rang de première urgence, ainsi que les aires situées devant. Même ceux de l’aérogare civile. Les murs des hangars constituent la seconde urgence.

Même la couleur est précisée lors d’une inspection, fin novembre 1939 : vert foncé mat avec de grandes plaques brun foncé pour les toits ; vert un peu moins foncé pour les façades.

Beaucoup de ces transformations n’iront pas au bout. A partir du 18 juin 1940, ce sera aux Allemands de trouver des solutions.

Didier Lecoq

A propos Didier Lecoq 89 Articles
Journaliste honoraire. Secrétaire général de la rédaction à la Nouvelle République, à Tours, jusqu'en 2020.

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