Le meeting de Maxime Lenoir, à Chargé, vu par Madeleine Letard

Une carte postale envoyée par Maxime Lenoir à ses parents. (@ Famille Lenoir / Samuel Pierrot)

Le 17 mai 1914, Maxime Lenoir participe à la coupe Pommery, une compétition en pleine déliquescence. En chemin, il s’arrête chez lui, à Chargé, près d’Amboise. La Touraine et la commune viticole découvrent qu’elles “possèdent” un aviateur, le premier Tourangeau à faire des loopings, depuis le 7 février. La course s’arrêtera là pour Maxime Lenoir qui s’inscrira à la course Paris – Londres mais un accident à Courtenay, dans le Loiret, y a mis fin avant même de commencer. Quelques mois plus tard, c’était la guerre.

Cette lettre a été renvoyée le 19 mai 1914 par Madeleine Letard (Madame Côme), belle-mère d’Abel Anjorand qui connait mieux que personne l’histoire de cette commune et qui nous l’a communiquée. Madeleine était d’ailleurs la marraine d’Odette, la sœur cadette de Maxime. La lettre était adressée à Maurice Letard qui effectuait son service militaire à Orléans (1).

Didier Lecoq

Dans la Dépêche du 16 mai 1914.

La lette de Madeleine Letard

Mon cher Maurice,

Tu dois trouver le temps long, Maman t’avait promis d’écrire lundi, nous sommes en retard d’un jour.

C’est bien fâcheux que tu ne sois pas venu dimanche, nous avons eu une fête d’aviation superbe donnée par l’aviateur Maxime Lenoir.

Jeudi dernier vers sept heures du matin on entendit un aéroplane et aussitôt au-dessus de Chargé quelle ne fut pas la surprise de tout le monde de le voir planer pendant cinq minutes et aussitôt piquer de l’avant pour aller atterrir. Tu dois penser si toute la commune se précipitait pour aller savoir ou il était descendu. C’était à la Girardière, près de la ferme (2).

Il y avait là dès le matin pourtant plus de 150 personnes autant des environs que de Chargé. Puis vers 10 heures toutes les jeunes filles réunies nous lui avons offert un bouquet. Et à 11 heures il reprenait son vol dans la direction de Tours pour, disait-il, aller réviser son appareil. Mais il eut une autre idée et dans l’après-midi il revenait se poser au même endroit que le matin.

Samedi, lorsque Maman t’a écrit, rien de la fête n’était décidé mais voilà que dans la matinée le conseil municipal se réunit pour organiser une fête en son honneur. Des affiches furent envoyées dans tous les environs. Un garage de bicyclettes fut installé dans les champs, des cafés se montèrent auprès et dimanche vers 4 heures plus de 4000 personnes (3) se trouvaient dans la plaine de la Girardière.

Aussitôt l’aviateur commença ses vols, après avoir salué la foule avant son départ, et au même instant la musique faisait entendre un de ses plus beaux morceaux. Il roula sur une assez grande longueur puis il s’éleva, au même instant un tonnerre d’applaudissements retentit de tous les coins des champs. Il plana pendant une demi-heure puis s’éloignant un peu du public il boucla la boucle deux fois, se tint pendant quelques secondes sur le dos puis effectua pour atterrir une gracieuse descente en spirale.

Pendant ce temps les jeunes gens s’étaient approchés du lieu où il devait descendre, et le hissant sur leurs épaules Camille Perthuis et Marcel le portèrent en triomphe suivis par la foule qui applaudissait toujours. Là aussi nous lui offrîmes une magnifique gerbe de fleurs en récompense de ses prouesses, il l’avait mérité.

Un service de quêteurs et quêteuses avait été établi ayant comme insigne pour les faire reconnaître comme étant de la fête un brassard rouge. La quête s’est élevée à près de 500 francs qui lui ont été remis à la mairie en présence de toute la municipalité, des quêteurs et des jeunes filles, ainsi que de ses parents. A tous il avait été offert un vin d’honneur. On trinqua et des cris de « Vive l’aviateur, vive Lenoir » retentirent de nouveau.

Tout cela a été très bien réussi c’est contrariant qu’au soir il soit venu un orage qui a tout dérangé car le monde, au lieu de s’écouler lentement, se sauvait à l’abri. Cela a fait tort à la quête car on aurait dû faire presque le double de recettes.

Un grand bal clôturait la fête. Nous avons dansé jusque une heure du matin.
L’aviateur repart aujourd’hui mardi dans la soirée, son appareil est remisé à la Boitardière et beaucoup de personnes veulent encore aller le féliciter avant son départ.

Où est le Maxime de chez Marchand (4) ? Il avait dit qu’il viendrait en aéroplane, il l’a fait. Et bien des personnes qui l’ont vu le jugent comme un hardi aviateur dont beaucoup ne sont pas capables d’égaler le courage car il est maître de son appareil comme il l’était de ses autos […]

Madeleine Letard

P.-S. Nous avons retenu les journaux où le compte-rendu de la fête a été donné, tu le liras à ta prochaine permission. Des clichés ont été pris pour reproduire la photographie de l’aviateur dans les journaux car c’est le héros du jour.

Le compte rendu dans la Dépêche
du 21 mai (seulement !).

Notes

(1) Le père de Madeleine Letard était sabotier, sa mère était l’épicière de Chargé. Ils demeuraient dans le bourg, comme la famille Lenoir.

(2) La Boitardière et la Girardière, sur le plateau entre Amboise et Chargé, laissent la place à la zone industrielle de la Boitardière. En 1939, un terrain d’aviation y avait été aménagé qui a servi à l’échelon lourd (DALAC) et au ministère de l’Air installé dans le château d’Amboise.

(3) La Dépêche parle de 5000 spectateurs.

(4) Cette lettre met peut-être au jour un épisode méconnu de Maxime Lenoir, son adolescence. A Limeray (de l’autre côté de la Loire) vit Eugène Marchand, né à chargé où il a été épicier. Peut-être Maxime Lenoir y a-t-il vécu, après sa formation de mécanicien. Ce qui expliquerait qu’après sa démonstration à Chargé, Maxime Lenoir en ait effectué une autre à Limeray.

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A propos Didier Lecoq 89 Articles
Journaliste honoraire. Secrétaire général de la rédaction à la Nouvelle République, à Tours, jusqu'en 2020.

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