1929, année horrible pour le régiment d’aviation de Tours. Épargné en 1927 et en 1928, il perd plusieurs de ses aviateurs et non des moindres : sept morts dans trois accidents différents, dont le commandant François Tulasne et le capitaine Victor Lasalle. Pour soutenir les familles, un grand meeting est organisé, en mai 1930.
« Au cours de l’année qui vient de s’écouler, aucun accident mortel d’aviation n’est survenu aux 3e et 31e régiments d’aviation (1), malgré les nombreux vols et exercices de toute nature exécutés dans ces régiments très allants ». Ce cocorico, le journal La Dépêche le pousse en janvier 1928. En effet, depuis l’accident fatal à l’adjudant-chef Jean Foiny et au soldat Foucher en mai 1925 (2), le 31e régiment d’aviation est à peu près épargné.
Puis arrive 1929 et son drame en trois actes. Mais d’abord, plantons le décor.
Dix ans après le retour
La scène sur laquelle évolue le 31e régiment d’aviation est la même depuis novembre 1915 et la création de l’école militaire d’aviation, sur le plateau de Parçay-Meslay. En revanche, le décor a changé. « Pendant longtemps, les Tourangeaux passant sur la grand’route de Paris, n’aperçurent à côté des vastes hangars abritant les oiseaux aux ailes tricolores, que de modestes baraques en bois servant à loger le régiment », déclare un journaliste, pris de lyrisme, dans La Dépêche du 28 mai 1930. « Depuis, tout cela s’est transformé. Des constructions en pierre se sont élevées et continuent de s’édifier ; de coquets pavillons logent les bureaux de la direction, les mess des officiers et des sous-officiers. On circule dans de coquettes allées bordées d’arbustes et de parterres. »
Côté organisation, le 31e régiment n’a pas changé avec ses trois groupes de deux escadrilles (3). Le 1er janvier 1920, il a succédé, sous le nom de 1er régiment d’aviation d’observation, à un éphémère Groupement aéronautique n°1 mis sur pied par le futur général Muiron au départ des aviateurs américains (mai 1919).
Au cours de l’année 1920, le 1er RAO a été rebaptisé 31e RAO après la réforme de la numérotation des unités (les trentaines pour l’observation).
Côté acteurs, la page du Potez 15 (4), l’avion de l’adjudant-chef Foiny et de ses camarades, finit de se tourner. Il laisse la place au Potez 25. Un successeur qui n’a rien de révolutionnaire si ce n’est qu’il va plus loin, un plus vite. A Tours, le Potez 25 « nous permettra de toucher n’importe quelle frontière sans escale ».
Parçay-Meslay en pleine croissance
Un parc d’avions qui se renouvelle, des bâtiments en dur qui sortent de terre, ce n’est pas tout. Un vent de modernité souffle sur les méthodes. Surtout après l’arrivée du lieutenant-colonel Joseph Tulasne qui insuffle au 31e régiment ce qu’on nomme alors « l’esprit d’escadrille ».
Joseph Tulasne institue un challenge du régiment. Il s’agit d’une compétition entre escadrilles sur des thèmes propres à un régiment d’observation : présentation de l’avion, montage et démontage d’un moteur (pour les mécaniciens), atterrissage de précision, vol de précision, lancement d’un message lesté, photo aérienne (5).
Puis arrive 1929. La première alerte a lieu au défilé du 14 Juillet. Trente avions, emmenés par le colonel Voisin, décollent de Parçay-Meslay pour survoler la revue. Peu de temps après son départ, le Potez 25 du lieutenant Caubet et du sergent-chef Fleuret quitte sa formation. L’avion est devenu incontrôlable. Les deux membres de l’équipage n’ont pas le choix. Il l’évacuent. Pour la première fois, des aviateurs du 31e utilisent leur parachute et lui doivent la vie.
Sept du 31e en 1929
Le premier acte du drame se joue sur le terrain du régiment, un mois plus tard. Le vendredi 23 août, un sergent de réserve manque son décollage. Son Potez 15 (un des derniers) vient percuter un Potez 25. Le sergent Fond, qui le mettait en marche, et le caporal Dambricourt sont tués, l’adjudant-chef Jaunay, gloire sportive du 31e est grièvement blessé (6). Le réserviste est indemne.
Second acte dans l’Allier, en septembre. Au retour d’une mission en Yougoslavie, deux Potez 25 se heurtent dans le brouillard. Bilan : quatre morts. Il s’agit du commandant François Tulasne, chef de l’expédition, commandant du groupe de reconnaissance n° 5 (Spa bi-42, Sal 39), de l’adjudant Favier, du sergent-chef Vergnaud et du sergent Josserand (7).
Le troisième acte a pour cadre l’Afrique du Nord. Dans la nuit du 15 au 16 décembre, le capitaine Victor Lasalle percute une dune dans le désert de Libye lors d’un raid vers Saigon sur un Nieuport de tourisme (8). Victor Lasalle et ses deux compagnons sont retrouvés quelques jours plus tard. C’est le septième aviateur du 31e victime de l’air en 1929.
« Ces héros ont laissé des orphelins. C’est pour venir en aide à ceux-ci que les journées aériennes ont été organisées. Les mânes des disparus planeront au-dessus de la foule comme les grands oiseaux alors que se déroulera un programme rappelant les belles manifestations aériennes de Vincennes et du Bourget. La solidarité n’est pas un vain mot dans l’armée de l’air », écrit le journaliste de La Dépêche dans une belle envolée lyrique.
Les Amis du 31e d’aviation
Ces drames ont déclenché un élan de solidarité. Il se traduit par la création d’une nouvelle association : les Amis du 31e d’aviation. Elle s’est fixée comme but « d’apporter un appui moral et pécuniaire immédiat, en cas d’accident survenu en service commandé, aux militaires du 31e régiment d’aviation (officiers, sous-officiers, troupe) et à leurs familles (femmes, veuves, enfants, compagnes) ». Le préfet d’Indre-et-Loire, le général commandant le 9e corps et le colonel commandant le 31e régiment d’aviation sont présidents d’honneur.
L’association est présidée par M. Barbey, président du tribunal de première instance de Tours. Elle a fait appel à de nombreux officiers de réserve : le banquier André Gouïn, par ailleurs conseiller général, Noël Anquier, André Pichard, Fernand Guimier, commerçants et industriels, tous dans l’aviation lors de la Grande Guerre. Un pharmacien, M. Danos, lieutenant de réserve, est trésorier.
Le meeting débute par une messe en la basilique Saint-Martin, de Tours, en souvenir des officiers, sous-officiers et hommes de troupe du 31e, tués en service aérien depuis la création du régiment. L’après-midi du mercredi 28 est consacrée à des jeux et des tournois sportifs entre militaires pendant que Duroyon, le compagnon du capitaine Lasalle, donne de nombreux baptêmes de l’air aux Tourangeaux sur un Potez 29 (9).
Henri Lemaître retrouve Tours
Henri Lemaître ne pouvait être absent de cette fête. Il arrive à Parçay-Meslay aux commandes d’un Breguet 27 (le F-AJRC), « l’avion sans queue » comme le nomment les journalistes. « L’avion prototype Breguet à fuselage coupé, fit un superbe passage en rase-mottes au-dessus du terrain de Parçay, puis reprenant de la hauteur, alla survoler Tours. » En particulier, la maison familiale d’Henri Lemaître.
Pour ce meeting, l’aviation militaire a décrété la mobilisation générale. A commencer pour ceux qui la dirigent : Laurent-Eynac, ministre l’Air (10) ; les généraux Hénault, de Goys et Poli-Marchetti. Sont également mobilisés les avions du 31e, bien sûr, mais aussi le 3e régiment de chasse de Châteauroux et des bombardiers du 22e régiment de Chartres.
« Une émouvante cérémonie : la présentation du drapeau au ministre, puis c’est le départ en masse du régiment… Le départ s’effectue en vol de groupe devant le public. Le régiment se forme un peu plus loin, et bientôt les 37 avions, celui du colonel en tête, survolent le camp… L’échappement des 37 moteurs de 600 ch fait un bruit de tonnerre (11). »
Marcel Doret passait par-là
Des pilotes civils sont aussi de la fête : Bailly et Réginensi, auteurs des raids Paris – Saigon et Paris – Madagascar, Marcel Haegelen mais aussi, à l’improviste, Marcel Doret. En se rendant au meeting de Rochefort, le champion de la voltige a vu de la lumière. Il s’est arrêté pour une séance de voltige qui n’était pas au programme.
La vedette de Rochefort, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Varengot, a sa part de succès auprès des 40.000 spectateurs tenus en haleine par la fête mise sur pied par le lieutenant-colonel Jauneaud (12).
« Maintenant, des monoplans de chasse du 3e régiment de Châteauroux prennent l’air. Il exécutent, ainsi que Haegelen, Bailly, Réginensi, une étourdissante fantasia aérienne qui fait passer le frisson dans la foule… L’attaque d’un poste arabe encerclé est effectuée dans un ordre parfait par six avions de l’escadrille 13 – la C56 – commandés par le capitaine Rouquillaud. » Et comme toujours dans les meetings, un lâcher de parachutes a lieu.
En statique, les visiteurs admirent le Breguet « sans queue » d’Henri Lemaître ainsi que le Potez 36 amené par René Labouchère, chef-pilote de la maison. Un habitué de Tours : avant-guerre il venait y voir son frère officier de cavalerie, à bord d’une Antoinette ou d’un Dorand ; en 1928, il se cassa une dent en mettant en pylône son Potez 25 lors d’une visite au colonel Voisin avec Henry Potez.
40.000 spectateurs à … Tours-Saint-Symphorien
Le ministre de l’Air, Laurent-Eynac, a profité de son passage en Touraine pour solder plusieurs comptes. Avec plus ou moins de bonheur. Premier objectif : la fusion entre l’Aéro-Club et l’Aviation-Club. « Les dirigeants promirent de tenter à nouveau cette fusion. Mais M. Laurent-Eynac, répondit qu’il partirait de Tours en emportant la ferme conviction que l’entente se réaliserait à bref délai. »
De fait, les deux clubs fusionnent en 1931… puis divorcent. La Touraine finit même l’année 1931 avec trois clubs après la création des Ailes de Touraine. La fusion se fera plus tard, sous la pression du colonel Muiron, qui deviendra, en 1935, le président de l’association Air Touraine.
Lauren-Eynac annonce également que le camp d’aviation change de nom. Il s’appelle désormais Tours-Saint-Symphorien. A la grande colère de la municipalité de Parçay-Meslay et à la plus grande joie de celle de Saint-Symphorien qui a fait remarquer que depuis la dernière extension de l’aérodrome militaire, le camp se trouve en grande partie sur ses terres.
Encore un mort en 1930
Le mercredi 11 juin 1930, cinq Potez 25 de la 13e escadrille partis au meeting de Vincennes, participent au Military Zenith qui les emmènent jusqu’à Thionville. Aux environs d’Orléans, un Potez se détache du groupe. Le moteur est en feu. Le pilote essaie, selon l’expression consacrée « de larguer le moteur » (12). Mais il est trop tard. Seul le pilote, l’adjudant Vergnaud, parvient à sauter en parachute. Son mécanicien, le sergent Bonafos s’est écrasé avec l’appareil dans le parc du château de Charbonnières, à Saint-Jean-de-Braye (13).
Il laisse une veuve et deux enfants en bas âge qui ont eu – sans doute – besoin des Amis du 31e d’aviation.
Didier Lecoq
Notes
(1) les 3e et 31e régiments appartenaient à la 6e brigade, créée en janvier 1924, dont le commandement était à Tours.
(2) L’adjudant-chef Jean Foiny. Lire
(3) Le groupe d’observation n°3 avec les 11e (Sal 277) et 12e (Sal 10) escadrilles ; le groupe d’observation n° 4 avec les 13e (Br 226) et 14e (C 56) escadrilles ; et le groupe de reconnaissance (ou de renseignement) n°5 avec les 15e (Spa bi-42) et 16e (Sal 39) escadrilles. Peu après la fête du 31e arrivent deux escadrilles de Breguet 19 qui étaient stationnées à Mayence, en Allemagne. Il s’agit des escadrilles HF 19 et Br 104.
(4) Dérivé lui-même du SEA IV C2 d’Henry Potez et Marcel Bloch apparu à la fin du conflit, il a remplacé le Breguet 14 à partir de décembre 1923 au 31e RAO.
(5) Vainqueur en 1928, l’escadrille 13 du capitaine Rouquillaud (GO 4 du commandant Canonne) devant la 14 et la 12 (ex-aequo), la 11 et, enfin la 16. La 15 ne participait pas, étant la seule à avoir de « vieux » Potez 15.
6) Un portrait sera consacré à Joe Jaunay, originaire d’Azay-le-Rideau, athlète de haut niveau, maître d’armes à la salle Sanrefus de Tours, pilote de la Grande Guerre, etc. Deux de ses fils se sont illustrés dans le sport : Roland Jaunay, international d’athlétisme, et Joe Jaunay, directeur technique national du basket.
(7) Sur l’accident de commandant François Tulasne Lire
(9) Sur le capitaine Victor Lasalle Lire
(9) Duroyon est devenu réceptionneur chez Potez. C’est lui qui essayait notamment les Potez 25. La contre-réception était faite par un pilote de l’armée.
(10) Il était piloté par le lieutenant de vaisseau Pecqueur, un ancien du lycée Descartes de Tours, accompagné du colonel Duseigneur.
(11) Les Lorraine faisaient 450 chevaux.
(12) Le lieutenant-colonel Jauneaud a succédé au colonel Voisin après un court intérim du lieutenant-colonel Antoinat, parti au Levant.
(13) Il s’agit en réalité du réservoir principal. Le Potez 25 avait un dispositif qui permettait de larguer en vol ce réservoir situé entre le moteur et le pilote. Le pilote avait sans doute commencé par vider son extincteur.
(14) Selon les enquêteurs, il avait détaché son parachute pour le voyage et n’était pas parvenu à le remettre. Il a été inhumé à Banyuls. Âgé de 26 ans, il était au 31e depuis 1925.
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