Brevetée pilote militaire à titre honoris causa à l’issue de sa carrière de monitrice au CEV, cette Parisienne est décédée à 93 ans, en Sud-Touraine.
Jacqueline Herbinière est venue à l’aviation à cause de son âge. La Seconde Guerre mondiale venait de se terminer, elle avait 16 ans et voulait devenir parachutiste. « Mais j’étais trop jeune. On m’a dit qu’à mon âge on pouvait faire de l’aviation. De toute façon, pour sauter en parachute, il fallait passer par l’avion. » C’était le début d’une longue histoire. Elève à Aéro-Sport-Est, elle est brevetée pilote de tourisme à 19 ans (1). Jacqueline Herbinière a multiplié toutes les qualifications possibles ensuite : planeur puis monitrice de vol à voile (1950, Saint-Yan), remorquage (1951, Saint-Yan), largage, voltige (1952, Saint-Yan), vol aux instruments, opératrice radio (1954).
« Parce qu’il fallait bien se nourrir »
En parallèle, « parce qu’il fallait bien se nourrir », elle a préparé son diplôme d’infirmière chez les Infirmières pilotes secouristes de l’air (IPSA). Elle est toujours restée proche des IPSA, comme monitrice bénévole de leur aéro-club pendant deux ans à Toussus-le-Noble et présidente d’honneur. Elle y a côtoyé Elisabeth Boselli, Elisabeth Lion et Yvonne Jourjon. La promotion 1969 des IPSA a pris le nom de Jacqueline Golay.
“Je veux, je ne veux être que pilote”
Jacqueline Herbinière à André Desoutter, moniteur à l’A-C. des IPSA
Jacqueline Herbinière a participé à de nombreux rallyes aériens sur des avions de tourisme. En 1952, elle a d’ailleurs remporté le rallye de la Foire de Paris – 1.723 km et 33 atterrissages avec quatre personnes à bord, disait une publicité pour son avion dans une revue aéronautique.
Le rêve de devenir pilote professionnelle
Mais son rêve était de devenir pilote professionnelle. Pilote de ligne. Elle avait envoyé sa candidature à une compagnie aérienne et avait obtenu cette réponse magnifique du directeur : « Madame, vous n’y pensez pas. Lorsque les passagers vont apprendre que le pilote est une femme, ils vont demander à descendre. »
Faute d’une grande compagnie, Jacqueline Herbinière s’est contentée d’allonger ses voyages. Pour sa première expérience au long cours, elle a convoyé un avion de tourisme destiné à l’Aéro-club de Colomb-Béchar (2), dans le sud de l’Algérie, en mars 1954 : 2.286 km. Puis elle a imaginé aller encore un peu plus loin, en avril de la même année, en livrant un avion Percival 44 Proctor V (3) destiné aux Transports Aériens du Gabon (4), à Libreville. Elle était accompagnée d’un bimoteur destiné à la même compagnie, un Dragon Rapid (5). Ils sont partis le 18 avril de Toussus-le-Noble. Mais après une escale à Port-Étienne (Nouadhibou en Mauritanie), elle a été victime d’une panne d’essence le 23 avril et a dû se poser durement dans un paysage de dunes. Ambiance raid de l’Aéropostale, avec des Sénégalais qui la retrouvent et l’emmènent à l’hôpital de Dakar, à 50 kilomètres de là. Elle en a gardé des séquelles physiques à une jambe et à une cheville et des séquelles morales après le procès perdu qu’elle avait intenté à la compagnie. Elle n’a été rapatriée en France que le 28 juin.
Ce qui n’empêcha pas cette octogénaire alerte de lancer sa jambe sur son bureau pour nous montrer sa cheville, lorsque nous l’avons rentrée chez elle à Charnizay.
Ils ne se sont plus quittés
Retour à la case départ et à son métier d’infirmière au Centre d’essais en vol. « Je voyais passer les candidatures. Un jour, je suis allée voir le commandant et je lui ai dit que j’avais davantage de qualifications que certains. Il m’a dit d’envoyer la mienne. » Et c’est ainsi que Jacqueline Herbinière est devenue monitrice au Centre d’essais en vol, notamment à Melun. C’est au CEV qu’elle a rencontré un officier pilote d’essai. Il s’agissait de Georges Golay, un aviateur de la France Libre (mécanicien puis pilote à la fin de la guerre), originaire de Preuilly-sur-Claise, dans le sud de la Touraine. Ils se sont mariés le 20 juillet 1957. Ils ne se sont plus quittés. Le lieutenant-colonel Georges Golay a également été pilote d’essai au Centre d’essais en vol, à Brétigny. Il est décédé en 2003, à Tours.
Avec l’Association française des femmes pilotes
Jacqueline Golay-Herbinière s’est particulièrement attachée à la formation de ce qu’on appelle le Corps technique, notamment les futurs ingénieurs-généraux de l’armement. Ses qualités d’organisatrice, son autorité et sa personnalité, l’ont qualifiée pour devenir responsable de cette section de huit moniteurs, disent celles qui l’ont connue. Elle y a accumulé un nombre de vols impressionnant : elle avait près de 13.560 heures au moment de raccrocher.
Elle a également été présidente et une des fondatrices de l’Association française des femmes pilotes.
Un bel équipage
« Pour mon départ à la retraite, le général qui commandait le CEV m’a donné le choix entre la Légion d’honneur et le brevet de pilote militaire. » Côté médailles, elle avait déjà l’Ordre national du Mérite (6), la médaille de l’Aéronautique, celle de la Croix-Rouge. Alors, la Légion d’honneur… « Je n’étais pas militaire mais j’avais effectué toute ma carrière à former des militaires. J’ai choisi le brevet de pilote militaire. » Jacqueline Golay-Herbinière a reçu le brevet n°44.147 en 1984 des mains du général Rouault. La dernière des cinq femmes qui l’ont obtenu à titre honoris causa, avec notamment Jacqueline Auriol, la générale Valérie André et Suzanne Jannin. Un bel équipage.
Didier Lecoq
En 1954, la baronne de Vendeuvre, directrice des IPSA, parle de l’Aéro-club des IPSA et dresse ainsi le portrait de Jacqueline Herbinière dans l’hebdomadaire Les Ailes du 2 octobre : “Sa jeune monitrice totalise 800 heures de vol : elle a passé son diplôme d’État d’infirmière, elle a un visage d’enfant, une étonnante autorité, la tête pleine de projets qu’elle réalisera, nous en sommes toutes certaines.” .
Notes
(1) En septembre 1948. Nous n’avons pas retrouvé son brevet. Son numéro devait être entre 20.125 et 20.185.
(2) Le Percival 44 Proctor V immatriculé F-OAOZ.
(3) Le Percival 44 Proctor V a été sauvé de la ferraille et racheté par les Transports Aériens du Gabon. Immatriculé F-OAPR.
(4) La compagnie des Transports Aériens du Gabon a été fondée en 1951 par Pierre Boularne et Jean-Claude Brouillet. Les avions étaient destinés à favoriser l’exploitation forestière.
(5) Le DH 89A F-OAPS a été détruit lors d’un incendie à Ekouata, en Afrique équatoriale française le 16 mars 1955. Il avait été racheté par les Transports Aériens du Gabon et contrôlé le 30 mars 1954 à Toussus-le-Noble.
(6) Elle sera faite officier de l’ordre du Mérite après sa retraite.
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