Commandant du groupe de reconnaissance n°5 du 31e régiment de Tours, François Tulasne a trouvé la mort avec trois autres aviateurs, lors de la collision des deux Potez 25 qui rentraient d’une mission dans les Balkans. Il avait quatre enfants dont Jean, futur commandant de l’escadrille Normandie.
Samedi 5 octobre 1929. Deux Potez 25 du 31e régiment d’aviation, partis de Lyon, se dirigent vers Tours. Ils rentrent d’un long voyage qui leur a fait prendre la route des Balkans, jusqu’en Roumanie pour les obsèques du colonel Protopopescu, puis Belgrade, en Yougoslavie. Ils rentrent en passant par Venise et Lyon. Dans leurs foyers comme sur la base de Parçay-Meslay, tout le monde les attend.
Il y a, dans le premier appareil, le commandant François Tulasne et l’adjudant Favier. Dans le second, le sergent Robert Josserand et le sergent-chef Georges Vergnaud (1). Deux autres Potez 25, un de Pau et un de Tours, étaient du voyage. Mais le premier est resté à Venise, à l’aller, pour un problème mécanique. Le second, avec les lieutenants Chrétien et Marmagnant (2), s’est mis en pylône lors de la dernière escale, à Lyon. Ces deux officiers ont repris le chemin de la Touraine, la veille, par le train.
Au lieu des deux Potez tant attendus, c’est une dépêche de la gendarmerie qui arrive, adressée au commandant du 31e régiment d’aviation. Elle annonce un drame : « Gendarmerie de Jaligny (Allier), à commandant 31e d’aviation. – Deux avions Potez n° 29 et 47 (3), montés par quatre aviateurs du 31e régiment d’aviation, sont tombés à 11 h 35, le 5 octobre 1929, à 2 km au sud-est du bourg de Sorbier, dans l’Allier, au lieu dit Fréchet. Il y a quatre tués. »
Collision dans le brouillard
Les détails sont venus, plus tard. « Ils volaient à faible altitude, explique un témoin au journal La Dépêche. A un moment donné, l’un d’eux paraissait s’être égaré dans le brouillard et la pluie qui tombait abondamment à ce moment-là. Les deux aviateurs revinrent sur leur route. C’est alors que leur appareil entra en collision avec l’autre. »
Un témoignage confirmé par le colonel Voisin, commandant le 31e régiment : « C’est un accident effroyable, dû à la fatalité. Le lieutenant Chrétien est reparti pour La Palisse en vue de procéder à une enquête. Hélas ! le drame est facile à reconstituer. Il pleuvait, les deux appareils survolaient une vallée étroite. Celui du commandant Tulasne était en tête. Son pilote s’aperçut qu’il ne pouvait pas passer (4). Il fit demi-tour. C’est alors qu’il entra en collision avec l’autre avion. Tous deux étaient à 100 mètres d’altitude. La chute a été foudroyante, chute à la verticale. Les pilotes n’ont même pas eu le temps de couper l’allumage. »
Selon des journalistes, l’adjudant Frédéric Favier aurait essayé, au moment de la collision, de se servir de son parachute. Mais il n’en a rien été. C’est sous le choc que l’adjudant Favier a été éjecté. Agé de 35 ans, marié et père de deux enfants, il demeurait à la Ribaudière, près de Parçay-Meslay. Il était originaire de Saulzet, dans l’Allier, pas très loin donc de l’endroit où il a trouvé la mort. Il a été inhumé à Vichy.
Le sergent-chef mécanicien Georges Vergnaud, 29 ans, était marié et père de deux enfants. Il habitait au quartier Beaumont à Tours. Le sergent Robert Josserand, pilote âgé de 23 ans, était marié depuis peu. Il était revenu au 31e régiment après un séjour de dix-huit mois en Syrie. Il habitait 61, rue Giraudeau, à Tours.
Le décès de François Tulasne a jeté la consternation à Tours, au-delà de l’enceinte du camp d’aviation. Comme le précisent les journaux, « il appartenait à une vieille famille tourangelle ». Une famille d’architectes et d’aviateurs. Son père était architecte. Son frère aîné, Joseph, a commandé le 31e régiment d’aviation. Il a eu son jeune frère quelques mois sous ses ordres. Joseph terminera sa carrière avec le grade de général. Quant à André, né en 1882, il a conjugué aviation et architecture. Il a quitté la planche à dessin pour faire la guerre comme pilote à partir de 1915.
Du 5e hussards à l’aviation
Père de quatre enfants dont Jean, futur commandant de l’escadrille Normandie, François Tulasne demeurait rue des Ursulines. Il est né à Tours le 2 septembre 1886. Engagé volontaire en 1907, il a d’abord été incorporé au 6e régiment de hussards avant de rejoindre l’école spéciale militaire de Saint-Cyr en 1908 (promotion « Maroc »).
Il retrouve les hussards à sa sortie de l’école, avec ses galons d’officier, mais au 5e régiment, après un passage au 17e chasseurs, à Saumur. En 1912, une chute de cheval lui vaut sa première blessure, une entorse de la cheville. Cette même année, le 8 janvier, il épouse Jeanne Morisot, fille d’un vétérinaire travaillant pour le 8e régiment de cuirassiers de Tours (5).
C’est avec la guerre que la vocation de François Tulasne se dessine. En août 1914, il est à Nancy (où Jean est né). Le 5e hussards est chargé des reconnaissances et se déplace le long du front. A la tête de son peloton il participe aux premiers combats et son action courageuse, particulièrement les 4 et 5 septembre 1914, lui vaut une citation à l’ordre du régiment.
Puis il connaît le sort de beaucoup de cavaliers : mettre pied à terre ou passer dans l’aviation. François Tulasne, lieutenant depuis 1911, va donc suivre la voie tracée par son frère. Le 5 décembre il rejoint l’aviation. Mais au lieu de passer son brevet de pilote, il devient observateur, après un stage d’instruction, à Saint-Cyr. Il le restera toute la guerre. Ce n’est que plus tard, sur les conseils de son frère Joseph, qu’il deviendra pilote, condition sine qua non pour envisager un commandement.
Affecté au service aéronautique de la 4e armée – il vole alors avec l’escadrille MF 22 où il côtoie Marcel Brindejonc des Moulinais, le capitaine Léon Pujo ou le lieutenant d’Harcourt – François Tulasne ne s’y attarde pas. Trois mois après son arrivée sur le front, il rejoint la mission militaire en Serbie, début d’une longue relation avec ce pays : observateur à l’escadrille MF 99 S (6), officier de renseignements à la direction de l’aéronautique serbe (mai 1916), adjoint tactique à l’aéronautique au Monténégro (mars 1917), commandant du 1er secteur de l’aéronautique serbe (avril 1917).
C’est cette longue relation avec l’armée serbe qui explique son ultime voyage dans les Balkans en 1929. Il y représente l’aviation française aux obsèques du colonel Stefan Protopopescu (7) à Bucarest puis remet au roi Alexandre de Yougoslavie (8), un album de photographies qu’il a prises à Banitza pendant la guerre, où Alexandre se trouve au milieu d’aviateurs français.
La guerre en Serbie
L’armée française n’a pas lésiné sur la qualité de l’escadrille MF 99 S. De grands noms de l’aviation d’avant-guerre la composent : Louis Paulhan (brevet de pilote n°10, vainqueur de Manchester-Londres en 1910), Robert Martinet (n°78), autre habitué des grands meetings, et les militaires comme le capitaine Vitrat (breveté depuis 1912) ou Jules de Lareinty-Tholozan (n°468), neveu du comte de Dion. Sans oublier ceux qui suivirent comme le capitaine Dangelzer ou René Cornemont, qui s’illustrera avec l’Aéropostale.
Le chef des observateurs est le capitaine de Rochefort. Sont du voyage Marc Mortureux, Richard Mavet (9), François Tulasne, tous capitaines. Sans oublier un jeune chauffeur-mécanicien qui délaissera le volant pour le manche à balai, as de 14-18, mort au combat en 1940, recordman de vitesse dans les années 30 avec le Caudron Rafale, Maurice Arnoux. Mais aussi le fils du baron de Rothschild !
L’escadrille s’installa à Banitza, au sud de Belgrade. « Dès le 23 avril, de Rochefort, Tulasne et Mavet partirent en reconnaissance en Smyrnie, Banat et Bosnie, raconte Marc Mortureux dans son livre (10). Leurs rapport furent accueillis avec intérêts et satisfaction car ils fournissaient des précisions sur les aérodromes ennemis, l’activité sur les routes et voies ferrées, les champs de manœuvre où s’exerçaient les recrues, l’emplacement des monitors et des péniches, etc. »
Le tour du monde
Le 9 octobre 1915, l’offensive des Autrichiens, des Bulgares et des Allemands, entre la Save, la Drave et le Timok, jette les Serbes et leurs alliés sur le chemin de la retraite. François Tulasne doit rejoindre Saint-Jean-de-Medua, sur l’Adriatique, avec son ordonnance et son interprète, Nikolic. La retraite de l’armée serbe va durer trois mois. Les étapes sont d’une étonnante actualité : Mitrovitza, la plaine du Chant des merles au Kosovo, Podgoritza, jusqu’à Scutari, en Albanie, à travers la montagne, dans la neige. Des lieux que la guerre au Kosovo a rappelés.
Les séjours de François Tulasne dans les Balkans ont été entrecoupés de diverses missions en France : au service aéronautique de la 10e armée en mars 1916, de la 5e armée en janvier 1917 ; adjoint à l’école de tir aérien de Cazaux (novembre 17).
L’armistice du 11 novembre 1918 va le trouver… à Brest. Le lendemain, il embarque avec la mission militaire française en Sibérie, direction… les États-Unis. Son frère André est du voyage. Ils se sépareront après la traversée du continent américain, à Hawaï. François Tulasne va rejoindre l’armée tchécoslovaque qui, en attendant la réorganisation des Russes blancs, essaie de contenir la poussée des bolcheviques. Il ne sait pas encore qu’il débute un tour du monde plein d’aventures et de dangers dont un périple de 1.500 km dans une tarentass (la charrette à cheval comme dans Michel Strogoff) dans les steppes d’Asie centrale, seul avec un interprète.
Pilote au 31e régiment d’aviation de Tours
François Tulasne ne s’est pas contenté de faire son métier d’aviateur. Il a longuement observé le monde qui l’entoure. Fin lettré, bon orateur, il a raconté ce « Tour du Monde » insolite au cours de nombreuses conférences avec la Société de géographie de Touraine : trente-six séances sur une quinzaine de sujets, à partir de 1921. Notamment sur Santorin en mars 1926 ; la Steppe Caspienne en 1927 ; Du Timok à l’Adriatique (Serbie – Monténégro – Albanie) en mars 1928 (salle Balzac, à l’angle des rues de Clocheville et Jeanne-d’Arc). Sans oublier les causeries aux soldats du 31e. Depuis 1923, il est également membre de la Société archéologique de Touraine (11).
François Tulasne rentre en août 1919. Il alterne alors les affectations en France et les missions à l’étranger : à l’état-major du 13e corps d’armée, à Clermont-Ferrand, puis auprès de l’aviation grecque, à Athènes, en 1922. François Tulasne revient « à domicile » en août 1923, au 31e régiment. C’est lors de ce premier séjour à Tours qu’il se décide à devenir pilote. Il est breveté le 21 février 1925 avec le n° 20.562.
Événement assez rare, en septembre 1925, il y est rejoint par son frère Joseph, qui lui rentre d’Afrique Occidentale Française. Joseph est venu prendre le commandement du 31e régiment d’aviation. Ils ne resteront pas ensemble longtemps. En mai 1926, François Tulasne repart dans l’Est, détaché à la Mission française en Tchécoslovaquie, avec le grade de commandant. Il y est victime d’un accident, lors d’un entraînement, le 15 novembre 1926, clavicule fracturée.
Commandant du groupe de reconnaissance n°5
Revenu en Touraine en janvier 1928, il y prend le commandement d’un des trois groupes du régiment, le GR 5, composé des 15e et 16e escadrilles – respectivement la Spa 42 (Pégase) et la Sal 39 (Le Lapin). La 15e escadrille est la dernière à utiliser le Potez XV. Ce n’est qu’en 1929 qu’elle reçoit des Potez 25.
Pour François Tulasne, le cours du temps s’est arrêté dans l’Allier. Tours et l’armée lui ont fait, ainsi qu’à ses compagnons, de grandes funérailles à la cathédrale. Il a été inhumé au cimetière La Salle, comme le sergent Josserand. Le corps du sergent-chef Vergnaud avait pris le chemin de Poitiers, celui de l’adjudant Favier étant resté dans l’Allier.
Le 31e régiment de Tours avait la réputation de régiment sûr. Il avait connu très peu d’accidents graves. Après la mort de Fond et Dambricourt en août, quatre aviateurs du 31e venaient pourtant de trouver la mort en service commandé. Ils ne seront pas les seuls. Fin décembre, c’était au tour du capitaine Victor Lasalle de disparaître dans les sables de Libye.
Le quartier de la base aérienne de Tours où se trouvait les casernes, à gauche de la route en direction de Paris, a pris le nom de quartier Tulasne en cette fin d’année 1929. Côté piste, les installations prendront le nom de Jean Tulasne. La base a réuni le père et le fils, en portant le nom de « Commandants François et Jean Tulasne »
Didier Lecoq
Aéroplane de Touraine 2007
Notes
(1) Favier était de la 16e, Josserand et Vergnaud de la 15e.
(2) Le capitaine Maurice Marmagnant a trouvé la mort dans l’accident du Potez 540 du ministère de l’Air, à Beaumont-la-Ronce, le 23 juin 1938.
(3) Pour le 47, il ne s’agit pas de son numéro mais de son immatriculation constructeur placée sous le plan inférieur. 47 était précédé d’une lettre et d’un chiffre. Sans doute le K547, donc le n°308 de la 16e escadrille.
(4) On ne sait pas qui pilotait. En théorie Favier était « plus » pilote que le commandant Tulasne.
(5) Elle est née à Joigny, dans l’Yonne, le 10 mars 1880.
(6) Dans de nombreux documents, notamment le livre de Marc Mortureux, il est question de l’escadrille MFS93. Sur les fiches de l’aéronautique il y est pourtant bien question de MF 99 S (S pour Serbie).
(7) Le colonel Stefan Protopopescu était le premier aviateur roumain, breveté en 1911.
(8) Alexandre II de Serbie devenu Alexandre Ier de Yougoslavie, assassiné par un Croate en 1934 à Marseille.
(9) Le capitaine Richard Mavet venait du 5e hussards où avait servi François Tulasne.
(10) « Des Français vivent l’épopée serbe, 1914-1915 ». Il est le frère de Jean Mortureux. Celui-ci a été directeur de l’école d’aviation de Tours, en 1916, après le capitaine Münch et avant le capitaine de Villepin. La famille a relevé le nom de Faudoas (Mortureux de Faudoas).
(11) Fait membre lors de la séance du 31 octobre 1923. Ses « parrains » étaient M. Briand, le colonel Cochin et le commandant Roque.
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Repères
Brevet d’observateur : n° 1.139 du 1er avril 1915
Brevet de mitrailleur : en avion le 5 avril 1916
Brevet de pilote : n° 20.562 le 21 février 1925, à Istres.
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