Le Phalène de Fernand Malinvaud s’écrase à La Croix-en-Touraine

6 Janvier 1945. La Touraine est libérée mais la guerre n’est pas terminée dans l’Est et dans les poches de l’Atlantique. Un avion de tourisme s’écrase à La Croix-en-Touraine, provoquant la mort du pilote, l’adjudant-chef Jean Guillard.

Le Caudron Phalène 286/6 de Fernand Malinvaud. (Collection Bruno Parmentier / aviafrance.com)

Le 6 janvier 1945, vers midi, des habitants de la Croix-en-Touraine entendent le bruit d’un petit avion qui tourne près des rives du Cher. C’est l’hiver, et comme souvent, la vallée du Cher est prise par le brouillard. La visibilité ne dépasse pas 50 mètres. L’avion repasse trois fois, cherchant sa route. Puis un choc et le bruit du moteur qui cesse. La tentative pour éviter des platanes ou des peupliers s’est terminée en perte de vitesse. Le Caudron Phalène s’est s’écrasé à cinquante mètres de la route qui relie La Croix-en-Touraine à Bléré, au lieu dit Finispont. Les premiers témoins accourus des fermes voisines découvrent rapidement que le pilote, l’adjudant-chef Jean Guillard, est décédé et que le mécanicien qui l’accompagne, l’adjudant-chef Pierre Bouis, est blessé.

Mais que faisait là cet avion de tourisme d’avant-guerre ?

Le Caudron Phalène appartenait à la Section de liaison de la 3e région aérienne. Il allait de Bourges à la base aérienne de Tours. Il était allé dans le Berry déposer le capitaine Henri Petitguillaume, commandant de la Section de liaison, et un mécanicien qui devaient ramener un Siebel de chez Hanriot pour cette unité. Henri Petitguillaume connaissait bien le terrain de Bourges. Il y avait obtenu son brevet militaire n°23533 à l’école Hanriot en 1931.

Du quadrimoteur au Caudron Phalène
Jean Guillard en 1938.

L’adjudant-chef Jean Guillard connaissait lui aussi Bourges. Boursier de pilotage, c’est également à l’école Hanriot de Bourges qu’il a obtenu son brevet de pilote militaire n°24956, quelques années plus tard, le 16 février 1936. Il a également un brevet de tourisme n°13277 datant de 1938. Né en 1914 à Paris, il s’était marié à Bourges en 1940 et était père de famille.

Jean Guillard avait fait la première partie de la guerre aux commandes d’un bombardier quadrimoteur Farman 221, au 2e groupe de la 15e escadre… d’Avord, dans le Cher. Il y avait eu un accident le 16 août 1938 alors qu’il était sergent et second pilote (atterrisseur droit brisé au décollage, arrachement d’une hélice qui avait percuté le fuselage). Il avait effectué cinq missions de guerre, notamment le 8 juin 1940, ce qui lui a valu la croix de guerre avec étoile de bronze. Après la bataille de France, il s’est retrouvé en Tunisie avec son groupe.

Démobilisé, il a rejoint la Résistance, notamment au groupe Indre-Est de l’Armée secrète. Chef de section dans le maquis de Cluis, il a participé à plusieurs embuscades contre les forces allemandes en août et septembre 1944 et notamment à la libération de Châteauroux. De retour dans l’armée de l’air, il a été affecté à la base aérienne de Châteauroux puis à la section de liaison de Tours.

Au moment de l’accident, il était à Tours depuis un mois et avait déjà réalisé 26 heures de vol en décembre dont 15 comme premier pilote. Les mois précédents, il était dans les rangs des Forces Françaises de l’Intérieur. Il avait également effectué un stage de pilotage sans visibilité sur Caudron Goéland en décembre.

Mais comment cet avion est-il arrivé dans l’armée de l’air ?

Le commandant Chossec qui dirige la base équipée 109, ne donne pas beaucoup d’informations sur l’avion. Il en a peu si ce n’est que son moteur Gipsy Major – ce qui permet de mieux cerner le type de Caudron Phalène – est le n°5243 et que l’avion a été récupéré à Limoges.

Le rapport de gendarmerie donne cependant d’autres détails intéressants. Le Caudron Phalène était rouge avec des Croix de Lorraine et le numéro 10 sur la queue. il portait des cocardes tricolores au bout des ailes. Des bandes – 3 blanches et 2 noires – étaient peintes sur les ailes et sur le fuselage près de la dérive.

Un Caudron Phalène rouge qui a un lien avec Limoges ? Il n’y a pas beaucoup de candidats. Le musée Caudron, à Rue, nous a confirmé que le moteur numéro 5243 correspondait bien au F-AMMV. Ce Caudron Phalène C.286/8 avait été racheté par le Limougeaud Fernand Malinvaud en 1937 à la société des pétroles Jupiter. Société qui avait appartenu à la famille Deutsch de la Meurthe avant d’être absorbée par la société Shell.

Un as oublié

Fernand Malivaud a longtemps été un des meilleurs pilotes français de voltige, comme Doret, Cavalli et d’autres. Notamment avec son Gourdou-Leseurre B7 rouge. Rouge comme le Phalène. Et comme sa voiture personnelle. Enfin, rouge vermillon souvent décrit comme de l’orange foncé. Le Gourdou F-APOX est actuellement au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Les deux avions ont été sortis de leur cachette à la libération de Limoges. Où exactement ? La question reste posée.

Seul le Caudron Phalène pouvait être utile à l’armée de l’air. Et c’est ainsi qu’en décembre 1944, Tours a accueilli un papillon de nuit qui n’a pas vu le printemps.

Didier Lecoq

Merci au Musée des frères Caudron à Rue, dans la Somme Voir, à Peter Gould de l’association Antique Aéro Doc, à Franck Roumy et Bruno Parmentier du site aviafrance.com

Didier Lecoq
Photographie prise le 31 janvier 2022. C’est dans la prairie à droite en contrebas, à 200 m au nord du pont sur le Cher que le Caudron Phalène s’est écrasé.
3e région aérienne

La 3e région aérienne était commandée par le général René de Vitrolles. A Tours se trouvait la 7e subdivision aérienne dirigée par un as de la Grande Guerre, le colonel Julien Guertiau, résistant, qui a participé à la libération de Châteauroux.

L’équipage du Caudron

L’adjudant-chef Jean Guillard est né le 31 août 1914 à Paris (10e arrondissement). Il a reçu la Croix de guerre en 1942. Il a un dossier de résistant au SHD à Vincennes que nous avons consulté. Cote : GR 16 P 277750.

L’adjudant-chef Pierre Bouis n’a été que légèrement blessé. Il a eu droit à quinze jours de convalescence. Il a repris sa place de mécanicien à la base aérienne de Tours. Il a terminé sa carrière avec le grade de commandant.

Henri Petitguillaume

Le commandant Henri Petiguillaume, qui dirigeait la Section de liaison, n’a pas survécu longtemps. Il est décédé le 30 octobre 1945 en s’écrasant sur le polygone de tir de Bourges avec un Curtiss H-75. Il appartenait au Commandement supérieur des écoles de l’air (CSEA). En mai-juin 1940 il avait survécu aux attaques en vol rasant sur les blindés allemands aux commandes d’un Breguet 693 avec le GB 1/54.

L’accident en Jean Guillard à Avord le 16 août 1938

Cet accident ne figure pas dans la liste du SHD à Vincennes. La lettre de félicitations du ministre de l’Air se trouve dans le dossier de résistant de Jean Guillard. Ils étaient sept dans le Farman 221 : lieutenant Jean Feuillet (commandant d’avion), sous-lieutenant Michel Debras (navigateur), sergent-chef Jacques Dejean (1er pilote), sergent Jean Guillard (2e pilote), sergent-chef Marcel Frevel (radionavigant), sergent Pierre Messonet (mécanicien), sergent Gilbert Rion (mitrailleur).

Un imposant quadrimoteur Farman 221 à Rayak, au Liban, en 1940. Jean Tulasne (en manteau) était passé par la 15e escadre d’Avord (1935-1937) mais sur Bloch 200. (Collection famille Tulasne)
Les avions de Fernand Malinvaud

Avant la guerre, Fernand Malinvaud a également possédé le Nieuport 81 F-ABCR ; le Bulté RB.30 immatriculé F-AQLU ; le Morane-Saulnier 191 F-AIJH ; le Koolhoven FK.45 F-AMXT ayant appartenu à René Paulhan ; et l’Avro 594 Avian IVM F-APFL. Le Gourdou-Leseurre a été mis en vente à la mort de Fernand Malinvaud. En vain. Sa veuve l’a offert à la ville de Paris en 1959 qui l’a confié au musée de l’Air.

A voir

Le Gourdou-Leseurre B7 de Fernand Malinvaud sur le site de Pyperpote. Voir

A propos Didier Lecoq 89 Articles
Journaliste honoraire. Secrétaire général de la rédaction à la Nouvelle République, à Tours, jusqu'en 2020.

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